: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: Grande Albanie
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samedi 31 décembre 2016

Guerre de et pour l'Eurasie : la Macédoine, un des "fronts de demain" (III)



La Macédoine

La Macédoine est un État indépendant depuis 1991. Elle connait dès les premiers temps de son existence un conflit symbolique l'opposant à la Grèce à propos de son nom. Les Grecs n'acceptent pas que les Macédoniens slaves utilisent le toponyme Macédoine qui renvoie à leur propre histoire (Royaume de Macédoine), à l'hellénisme, à la langue grecque, d'autant plus que la jeune république ne se prive pas d'utiliser des symboles identitaires forts dont la Grèce se dit la seule dépositaire : Alexandre le Grand, le soleil de Vergina ornant le tombeau de Philippe II de Macédoine. On retrouve ici les préoccupations des nationalistes protochronistes des anciens Etats communistes, qui dans leur quête d'identité, revendiquent une filiation directe et la plupart du temps unique entre les peuples des Etats modernes et ceux de l'Antiquité. De fait l' appellation FYROM (Former Yugoslav Republic Of Macedonia) - soit ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine) en français - est celle qui est reconnue et utilisée à l'international. Mais cette querelle identitaire ne semble pas devoir dégénérer en conflit armé et reste, pour le moment, cantonnée au domaine du débat intellectuel dans lesquels interviennent politiciens, historiens protochronistes ou non. Mais sait-on jamais...

La situation pouvant rapidement se traduire en conflit armé est plutôt à chercher dans les tensions entre Macédoniens "de souche" et Albanais. La Macédoine présente une grosse minorité d'Albanais représentant environ un quart de la population totale du pays, soit environ 500000 personnes pour un territoire comptant un peu plus de 2 millions d'habitants. A ce constat général, il faut évoquer une situation particulière. A l'ouest du pays, les Albanais sont soit majoritaires, soit représentent une grosse minorité par rapport à la population totale de la région. Plus on se rapproche de la frontière avec le Kosovo ou l'Albanie, plus ils sont nombreux. Ils sont majoritaires dans certaines villes et forment une minorité très importante dans d'autres villes ou villages. Cette population est très vindicative et obtient depuis les années 90 tout ce qu'elle demande au pouvoir central. Des revendications concernant le bilinguisme ou un désir pour les Albanais d'être mieux représentés au sein de la société macédonienne, on passe très vite à des revendications d'indépendance de la partie du territoire majoritairement albanais ou le rattachement de celle-ci à l'Albanie-Kosovo. En 2001, des anciens combattants de la guerre du Kosovo de l'UÇK-M ont réalisé plusieurs opérations visant à rattacher la zone albanaise de la Macédoine au Kosovo, sous couverts de revendications d'ordre culturel et linguistique. Un conflit oppose alors pendant six mois les Albano-kosovars au pouvoir central. Les accords d'Ohrid du 8 août 2001 donnent gain de cause aux Albanais. Par ces accords, l'albanais devient langue officielle au même titre que le macédonien dans toutes les municipalités peuplées d'au moins (ou seulement ! c'est au choix)  20% d'Albanais, l'usage de la langue albanaise est autorisé au parlement, etc. Ces mesures sont évidemment une avancée considérable pour la domination albanaise de la Macédoine. La toile de fond idéologique de ces conflits culturel et armé étant toujours la réalisation de la Grande Albanie. Plus récemment, en 2014, lors d'une manifestation organisée pour défendre des Albanais accusés d’avoir tué cinq Macédoniens, on pouvait entendre des slogans comme "Skopje,  cœur de l’Albanie" qui fait écho à un autre slogan shqiptar (albanais)  "Kosovo, cœur de l’Albanie". En mai 2015, ont lieu simultanément des manifestations à Skopje et un coup de force armé à Koumanovo dans le nord-est du pays à proximité de la frontière avec la Serbie, associant des Albanais de Macédoine et du Kosovo. Le parti au pouvoir, l'Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure - Parti démocratique pour l'Unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE), originellement d'orientation nationaliste devenu parti de centre-droit, accusé par l'opposition de favoriser les chrétiens appartenant à l’Église orthodoxe macédonienne au détriment des Albanais musulmans, organise alors promptement et avec succès une contre-manifestation dans la capitale tout en réagissant fermement à l'attaque terroriste. Il est intéressant de signaler que ces événements se sont produits le 9 mai, date hautement symbolique car jour de célébration de la victoire russe sur le nazisme. Ici à Skopje, comme ailleurs dans les Balkans yougoslaves, les "émissaires" du BAO (ambassadeurs) encouragent largement la contestation contre le pouvoir central actuellement aux mains du VMRO-DPMNE dont les bonnes relations qu'il entretient avec la Russie sont gênantes. Le 4 mars 2016, à Butel, ville majoritairement orthodoxe (65% de la population) localisée dans le nord de la Macédoine, des Albanais détruisent et brûlent une croix orthodoxe. A cette crise interne, il faut ajouter la question de la gestion des migrants que la Macédoine, située sur la très fréquentée "route des Balkans" voit déferler sur son petit territoire. A la date du 5 mars 2016, 13000 migrants-réfugiés auxquels les Albanais apportent leur soutien se pressent à la frontière entre la Grèce et la Macédoine, alors que la Grèce doit s'organiser pour relever le défi de la présence imposée de  30000 personnes venant de Syrie, d'Irak ou d'Afghanistan, sur son territoire. Un peu plus d'un mois plus tard, la situation devient presque incontrôlable.

Le parti au pouvoir en Macédoine, au début de l'année 2016, est favorable à une coopération avec la Russie dans le domaine énergétique. Un projet de gazoduc doit remplacer le programme south stream que les euro-atlantistes de Bruxelles-Washington ont fait avorter. Pour faire échouer les projets de coopération économique russo-macédoniens, le BAO s'appuie donc sur les groupes radicaux albanais nationalistes irrédentistes et djihadistes et est donc favorable à une partition éventuelle de la Macédoine en deux zones. L'une reviendrait à l'Albanie, l'autre à la Bulgarie. Pour ce faire, le BAO flatte-t-il les séparatistes de Tirana, Pristina et de Koumanovo et leur rêve de Grande Albanie. La Serbie entretient des relations plutôt cordiales avec la Macédoine qu'elle voit, avec raison, comme un Etat neutre et garant d'une certaine stabilité dans cette région sud-balkanique (Grèce incluse). Début avril 2016, des manifestations se déroulent à Skopje, la capitale macédonienne. Des Macédoniens descendent dans la rue pour contester un  projet de loi d'amnistie et demander la démission du président Gjorge Ivanov, proche de Poutine. Très rapidement, le 13 avril, nous assistons aux premières scènes d'émeutes. Le scénario est devenu très commun. Ivanov est accusé de corruption, la sémantique journalistique du BAO évolue, de "gouvernement de Macédoine", on passe à "régime de Skopje" comme on parle de "régime de Damas" pour bien marquer la supposée illégitimité du pouvoir en place. Les manifestations sont sous le contrôle d'une poignée de chefs appartenant à des ONG, l'opposition au pouvoir en place soutenue par les gouvernements des pays du BAO et l'Europe communautaire et les Etats-Unis mettent en garde Skopje et menacent de sanctions[1]. Une situation qui ressemble sensiblement à celle ayant précédé les "Révolutions de couleur". Ce que l'on peut dire avec quasi-certitude , c'est qu'une déstabilisation de la Macédoine ne manquerait d'avoir  de graves conséquences dans tous les Balkans et peut-être au-delà...





samedi 5 novembre 2016

Guerre de et pour l'Eurasie : La République serbe de Bosnie (Republika Srpska), un des "fronts de demain" (II)


La création de l'Etat de Bosnie et Herzégovine suite aux accords de Dayton de 1995 (en réalité signés à Paris) devant mettre un terme à la guerre de Bosnie qui débute en 1992 émane de la stratégie de "nation building". Depuis cette date, même si ce presqu'Etat possède des institutions politiques, il est sous le contrôle d'un Haut Représentant internationale en Bosnie-Herzégovine, autrement dit sous la "protection" d'un représentant du BAO. Depuis 2009, c'est un autrichien Valentin Inzko, envoyé de Bruxelles, assisté de l’ambassadeur étatsunien néo-conservateur David M. Robinson qui occupe cette fonction.  L'ensemble de la Bosnie est dans une situation socio-économique calamiteuse à peu près identique à celle de l'Albanie ou de la Moldavie. 

Ce pays est divisée en deux espaces, l'un à dominante culturelle musulmane, l'autre serbe orthodoxe, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (Fédération croato-musulmane) qui a pour capitale Sarajevo et la République serbe de Bosnie dont la capitale est Banja Luka. La première se trouve face à une crise économique mais aussi démographique très grave. Les Musulmans (on parle ici de nationalité pour désigner ce qui correspond essentiellement aux descendants de Slaves convertis depuis l'occupation ottomane et qui ont obtenu une reconnaissance de nationalité sous Tito) fuient la région en espérant trouver de meilleures conditions de vie en Europe occidentale. Les pays de destination de ces migrants sont principalement l'Allemagne et l'Autriche. La partie serbe est, quant à elle, bien plus viable économiquement et stable politiquement que le territoire peuplé de Musulmans. Ainsi est-elle la cible permanente des opérations de subversions émanant des Etatsuniens et de leurs vassaux. Il n'est pas inopportun de dire ici que les islamistes radicaux ont le champ libre dans cette zone. On trouve ici comme ailleurs dans les Balkans des "centres culturels", à Gornja Maoca, Ošve ou Dubnica depuis l'année 2012, qui sont autant de centres d'entrainement pour jihadistes crées et commandés par un certain Nusret Imamović. Le site du département d'Etat étasunien identifie ce personnage de cette façon :  "Nusret Imamovic is a Bosnian terrorist leader operating in Syria. After his arrival, Imamovic actively supported violent extremism, and is now believed to be fighting with al-Nusrah Front"[1]. Après être passé par Al-Qaida puis par le Front al-Nosra, Imamović comme l'indique la note du département d'Etat, a rejoint l'EIIL en entrainant avec lui les jihadistes de Bosnie. "Imamovic, who is named on a US State Department terrorist list, is believed to be the third-in-command of Al-Qaeda's Syria affiliate Al-Nusra Front"[2]. Husein Bosnic, un ancien membre d'une unité de moudjahidines dans la guerre de Bosnie, a remplacé Nusret Imamovic après que le départ de celui-ci pour la Syrie à la fin de l'année 2013, selon une source du  département d'Etat américain.

Si la plupart des Bosniaques de confession musulmane ne semblent pas devoir adhérer à l'idéologie sunnite-salafiste importée en Bosnie dans les années 90, plusieurs centaines d'éléments naviguant entre le Moyen-Orient et les Balkans sont prêts à mener un nouveau combat en Bosnie mais aussi dans toute l'Europe. C'est à Zagreb en Croatie qu'est lancé l'appel au Jihad de 1992. La "guerre sainte" des moudjahidines sera, entre autres, financée par des ONG islamistes séoudiennes. Des groupes djihadistes, comme les "Forces musulmanes" d'Abu Abdoul Aziz, réunissent d'anciens combattants arabes de la première guerre d'Afghanistan (1979-1989) et viendront en soutien à l'armée bosniaque. A la fin de la guerre, ils partiront rejoindre les rangs des rebelles en Tchétchénie (Avioutskii, 2005 : p. 228-229).

Or donc, en 2016 on peut identifier deux groupes principaux parmi ces djihadistes. Le premier est composé d'anciens combattants de la guerre de Bosnie (1992-1995) affiliés à Al-Qaida venus de cet immense espace que les Etatsuniens ont nommé "Grand Moyen-Orient". Il faut rappeler que durant la guerre de Bosnie, Oussama Ben Laden était un conseiller d'Alija Izetbegović, protégé du démocrate étasunien Richard Perle. Ce dernier, proche de G. W. Bush, fut collaborateur de Ronald Reagan mais également membre du groupe Bidelberg, membre collaborateur du PNAC et, parmi d'autres fonctions, administrateur du Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA)... L'autre groupe est composé principalement de jeunes, récemment convertis au salafisme. Depuis 2011, les actions de Bosniaques salafisés se multiplient. A titre d'exemple, en 2015, dans la ville de Zvornik, Nerdin Ibric, un islamiste a ouvert le feu sur des policiers.
Le BAO a d'autant plus intérêt à entretenir l'existence de ces centres de formation pour terroristes que le président actuel de la République serbe, Milorad Dodik, entretient de bonnes relations avec le Russie de Vladimir Poutine. Les événements de 2014 qualifiés de "Printemps bosniaque" - selon la formule générique appliquée à tous les cas de déstabilisation des territoires suscitant l'intérêt du BAO - qui ont touché l'entité musulmane devaient par ricochet générer des troubles dans la Bosnie majoritairement Serbe. L'ambassadeur de Palestine en Bosnie a, d'ailleurs - dans la grande lignée des analogies douteuses directement issues de la grande fabrique du consentement "occidentiste" anti-serbe -, comparé la situation de la Bosnie musulmane à celle de Srebenica, lieu du "génocide" (selon la qualification du TPYI) des Bosniaques qui aurait été perpétré par l'armée de la République serbe de Bosnie conduite par le général Ratko Mladić et l'organisation paramilitaire serbe Scorpions née lorsque la République serbe de Krajina fait sécession avec la Croatie. Une qualification de génocide que Rony Brauman, au passage, rejette. Dans un entretien accordé au magazine Témoignage chrétien en 2008, il affirme : "Les faits sont pourtant clairs et acceptés par tous, mais on a appelé ça un génocide. Srebrenica a été le massacre des hommes en âge de porter des armes. C'est un crime contre l'humanité indiscutable, mais on a laissé partir des femmes, des enfants, des vieillards, des gens qui n'étaient pas considérés comme des menaces potentielles. (...) Que l'on en ait fait un génocide montre bien que tous les massacres d'une certaine envergure ayant fait l'objet d'une certaine préparation entrent dans cette qualification. C'est une notion qui a perdu en profondeur tout ce qu'elle a gagné en surface. (...) Je trouve frappant cette obsession de débusquer des génocides, comme pour en être le combattant résolu. C'est vrai que Kouchner a vu un génocide au Biafra, au Kurdistan, en Bosnie, au Kosovo, en Irak, au Soudan... Je crois que cette notion de génocide est mobilisée parce qu'elle absolutise la situation. Elle dépasse les complexités d'une guerre avec ses compromis, ses enjeux, pour sortir du terrain de la politique et se mettre sur celui de la morale. (...) Une fois qu'on a prononcé ce mot pour qualifier une situation, toute discussion devient un atermoiement scandaleux, toute prise de distance devient une espèce d'indifférence criminelle"[3]. Or donc, depuis que Washington a placé Alija Izetbegović à la tête de la Bosnie-Herzégovine au début des années 90, peu de choses semblent avoir changé sur ce point : les Serbes sont toujours les potentiels bourreaux des Musulmans, des musulmans en Bosnie et de ceux vivant dans la totalité de l'espace ex-yougoslave...Si une nouvelle guerre en Bosnie n'éclate pas dans les mois ou années à venir, au moins, à considérer l'ensemble de la situation dans les deux entités, l'Etat Bosniaque fera-t-il sans doute l'objet d'une réorganisation territoriale et politique décidée par l'Union européenne ou Washington.

Tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle implosion des Balkans qui mènerait à terme soit au retour du Kosovo et de la Republika Srpska à la Serbie, soit à l'annexion par l'Albanie du Kosovo, d'une partie de la Macédoine  (ce qui équivaudrait à la disparition de cet Etat) concrétisant pratiquement le rêve panalbanais. Cette dislocation de l'espace géopolitique balkanique permettrait l'"indépendance" de la Voïvodine (ou sa partition), entrainerait la disparition de la Macédoine, et l'agrandissement de la Bulgarie. Selon Leonid Petrovitch Rechetnikov, ancien Lieutenant-Général retiré de la direction du SVR (service de renseignement extérieur russe), la Serbie, la Republika Srpska et le Kosovo sont au centre d'une épreuve de force entre les Etats-Unis d'Amérique et la Russie. Il ne faut pas oublier que le gouvernement serbe présente, aujourd'hui en 2016, des  éléments pro-étasuniens et que les Russes mettent en garde la Serbie sur une possible entrée du pays dans l'OTAN. La Russie conseille, de fait, aux Serbes de mettre rapidement à distance ces politiciens serbes qui souhaitent approfondir la collaboration avec Washington.




[1] "Designations of Foreign Terrorist Fighters", Media Note, Office of the Spokesperson, Washington, DC,http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/09/232067.htm, en ligne le 24/09/2014, consulté le 16/02/2016
[2] "Once magnet for foreign 'mujahideen', Bosnia now exports them", AFP,         http://www.globalpost.com/article/6532425/2015/04/29/once-magnet-foreign-mujahideen-bosnia-now-exports-them, en ligne le 29/04/2015, consulté le 16/02/2016
[3] Rony Brauman. "Deux ou trois choses que je sais du Mal..."http://temoignagechretien.fr/articles/societe/deux-ou-trois-choses-que-je-sais-du-mal, en ligne le 17/01/2008, consulté le 16/02/2016
Avioutskii, V. (2005). Géopolitique du Caucase. Editions Armand Colin
(Extrait d'un livre non publié de Jean-Michel Lemonnier)