: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: Lucian Blaga
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jeudi 29 janvier 2015

Miorița, espace mioritique et autochtonisme

Miorița est une célèbre ballade, un véritable monument de la culture populaire roumaine, expression du génie roumain. Version du texte en français. 
A partir de ce poème populaire, des intellectuels roumains comme Lucian Blaga ou Mircea Eliade ou français comme Jules Michelet ont extrait une matière ayant permis de définir l'essence de l'âme roumaine.
De Miorița, se dégage les traits de cet espace mioritique, espace géographique autant que philosophique, autant réel que symbolique, paysage fait de collines à l'horizon limité rappelant le pays des Moți dans les Carpates occidentales ou les collines moldaves de Bălănești, en même temps que paysage mental "ondulé" mythico-cyclique, "matrice stylistique" de la culture roumaine, vagina nationum, berceau du peuple roumain, espace matrice de l'âme roumaine profondément marquée par l'idée de destin selon le philosophe Lucian Blaga.


Libre de droits
Quand le Français  Michelet  voit dans dans "Miorita" (MioritSSa) l'expression d'une psychologie roumaine fataliste, "défaitiste", Eliade le Roumain analyse la réaction du pâtre face à la menace d'une mort certaine comme une réponse d'ordre cosmique à la Terreur de l'histoiretypique de l'attitude de l'homme archaïque de la protohistoire. Il s'agit d'une union mystique du berger avec le cosmos, de la transfiguration d'un événement tragique (la mort) en sacrement (non dans un sens purement chrétien), en un drame liturgique, en Mystère auquel participe le cosmos tout entier. La fiançée mystique, la mort, les astres, le soleil et la lune, témoins du monde, le dialogue du paysan avec ses animaux (l'agnelle voyante) forment un tableau mythico-religieux, une liturgie cosmique : "La nature tout entière devient église" (Lucian Blaga), pour Mircea Eliade "la mort est transmuée en Noces mystiques".
Au moment, de l'unification des différents pays roumains, l'ensemble des éléments de ce poème interprétés par Blaga puis par Eliade constitue un enseignement réutilisable pour la jeune nation roumaine qui peut se reconnaître dans une vision du monde verticale et hautement sophistiquée, à l'écart des influences occidentales, loin du libéralisme, de la démocratie bourgeoise, du laîcisme, de l'athéisme, du marxisme ou du nihilisme moderne plus généralement...

La déshistoricisation, la mythification, de facto la sacralisation du récit poétique qui inscrit le paysan (l'homme du pays) dans une histoire cosmique, permettent donc de justifier un autochtonisme, des valeurs indigènes spécifiques au peuple roumain (mais qui écartent de fait les quelques groupes de populations minoritaires) qui s'expriment à travers un christianisme, en partie affranchi du poids de l'histoire (transhistorique),  création originale conçue dans la réalité d'une Weltanschauung indo-européenne archaïque enracinée au coeur du christianisme orthodoxe. Voilà ainsi expliqué à partir de ce haut patrimoine de la culture littéraire roumaine, le christianisme cosmique et populaire cher à Mircea Eliade.
Cet espace mioritique est donc l'espace-matrice philosophico-géographique d'un peuple roumain qui mépriserait l'histoire -antihistorique- (et vivrait encore de nos jours, de toute évidence de manière résiduelle, ce mode d'être au monde étant désormais le fait de quelques communautés rurales présentant encore un caractère "traditionnel") à travers cette vérité toujours renouvelée, ce "mode d'être dans le monde" (Eliade, M.) qu'est le mythe. Une conception du temps et de l'espace, une vision du monde dans lesquelles, cependant l'ensemble des peuples eurasiatiques peuvent (ou pouvaient) se reconnaître.
Nostalgie de l'espace de vallées, cultivée au sein d'une psychologie roumaine, désormais éloignée de ce paysage mythico-géographique, qui à travers le contenu métaphysique du mot "Dor" exprime par le langage la mélancolie d'un peuple originairement agro-pastoral (la campagne est vagina gentium), la nostalgie d'appartenir à un cosmos unifié, sacré, sans divisions aliénantes. Cette nostalgie des origines ne peut, en aucun cas s'éteindre, et l'homme rationnel incarné dans l'individu moderne a-religieux est une abstraction, un pur mensonge. Il existe, en effet, toujours une pseudo-religion (idéologies politiques  marxisme fascisme, libéralisme, etc. grand-messe sportive, etc.), des croyances déguisées qui trahissent l'incurable dimension religieuse de l'être humain.

Texte de la ballade : http://www.romanianvoice.com/poezii/balade/miorita.php

Miorița, récitée

vendredi 18 mai 2012

Le mythe et la pensée mythique : aspects théoriques... à la lumière du "cas roumain"

Nous ne considérons pas ici (et dans le titre de notre essai) le  mythe entendu au sens courant et qui renvoie donc à une croyance erronée : le mythe comme synonyme de mensonge... Bien au contraire, c'est la définition du mythe telle que formulée par l'historien des religions ou l'anthropologue/ethnologue que nous acceptons.  Avec Mircea Eliade ou Claude Levi-Strauss, bien que  leurs études des mythes (et de fait, de la "pensée mythique") relèvent d'approches différentes, nous entendons le mythe au sens de vérité immuable, "éternelle" et s'inscrivant en dehors du Temps historique et linéaire. La vérité du mythe n'est donc pas contestable (pour celui qui y croit à l'évidence). Le mythe est toujours renouvelé puisque propre, a priori, aux sociétés dont la conception du temps est cyclique...

Le mythe est donc une vérité d'ordre anthropologique qui rend compte aussi bien de la réalité des sociétés archaïques, disons "anciennes", "premières" ou "traditionnelles" que de certaines réalités dans notre société "occidentale" moderne ou postmoderne. Notre société "occidentale" (voir le livre "la Roumanie  :Mythes et identité" pour une discussion sur ce sujet) n'est en, effet pas exemptes d'"aspects mythiques"... Dans le cas roumain qui nous intéresse dans notre essai, cette réalité là s'affirme encore de bien des manières...

 Il nous faut également insister sur l'opposition (apparente) Temps mythique ou cyclique/Temps historique pour appréhender le mythe.

C'est le christianisme ou plutôt les Pères de l’Église qui, en Occident, imposent le Temps linéaire. Cette conception du temps s'affirme ensuite à la Renaissance puis au siècle des Lumières... En effet, Jésus-Christ "l'homme-Dieu" s'incarne dans l'Histoire. L'incarnation christique impose alors définitivement une nouvelle représentation du temps, un début (la genèse) et une fin (l'Apocalypse et les spéculations eschatologiques corollaires). Il était inconcevable que le Christ ne revienne encore sur Terre accomplir Le sacrifice. Celui-ci était accompli une fois pour toutes. De cette conception du Temps découle l'idée d'évolution, de "progression" ou progrès... Néanmoins, la réactualisation rituelle, durant l'année liturgique, des épisodes de la vie du Christ implique certainement l'idée de cycle, de renouvellement... En outre, -et notre essai insiste largement sur cet état de fait- ce Temps cyclique ou mythique n'est pas totalement aboli de nos jours, dans des sociétés  dont l'entrée dans la modernité ou postmodernité est bien avancée ou définitive (?)...


Ce que disent -"dans le texte"- Mircea Eliade et Claude Levi-Strauss sur le mythe et la pensée mythique :

"Le mythe est censé exprimer la vérité absolue, parce qu'il raconte une histoire sacrée, c'est à dire une révélation trans-humaine qui a eu lieu à l'aube du Grand Temps dans le temps sacré des commencements (in illo tempore)" Mircea Eliade, 1957, Mythes, rêves et mystères

"Loin d'être, comme on l'a souvent prétendu, l’œuvre d'une  'fonction fabulatrice" tournant le dos à la réalité, les mythes et les rites offrent pour valeur principale de préserver jusqu'à notre époque, sous une forme résiduelle, des modes d'observation et de réflexion qui furent (et demeurent sans doute) exactement adaptés à des découvertes d'un certain type ; celles qu'autorisait la nature, à partir de l'organisation et de l'exploitation spéculatives du monde sensible en termes de sensible. Cette science du concret devait être, par essence, limitée à d'autres résultats que ceux promis aux sciences exactes et naturelles, mais elle ne fut pas moins scientifique, et ses résultats ne furent pas moins réels. Assurés dix mille ans avant les autres, ils sont toujours le substrat de notre civilisation." 
Claude Levi-Strauss, 1962, La Pensée sauvage

L'intellectuel roumain Lucian Blaga  nous parle aussi, à sa manière, d'une pensée mythique, d'un rapport au temps particulier, qui perdure dans les campagnes roumaines au début du XXe siècle :
"Vivre à la campagne signifie vivre dans une perspective cosmique et avec la conscience d’une destinée liée à l’éternité  " Lucian Blaga, 1936

Notre essai "La Roumanie : mythes et identités " intervient, donc, pour montrer que le Temps du mythe, s'il n'a pas totalement été évacué de certains espaces ruraux isolés de la Roumanie actuelle, influence -de manières qui peuvent paraître surprenantes- les représentations du monde de nombre de Roumains  entrés comme vous et moi dans la postmodernité...

jeudi 17 mars 2011

Géographie du sacré : le village roumain...

« Le village (Roumain) ne se situe pas dans une géographie purement matérielle et dans le réseau des déterminants  mécaniques de l’espace, comme la ville ; au regard de sa propre conscience, il se situe dans le monde et se prolonge dans le mythe. » Lucian Blaga, 1936