: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: Maurice Duhamel
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samedi 24 août 2013

Une histoire des Bretons...

Maurice Duhamel (1884-1940) écrit "Histoire du peuple breton" en 1938 sur demande de l'organisation des Bretons émancipés de la région parisienne. Cette dernière est proche du parti communiste français dont un des fondateurs lors du Congrès de Tours de 1920, le Paimpolais Marcel Cachin, considérait que le breton était la  "langue de la paysannerie et du prolétariat breton".
 Cette "histoire du peuple breton" rééditée en 2000 aux Editions An Here nous plonge au cœur d'une histoire fort mal connue par les Bretons (1) eux-mêmes. C'est une lecture marxiste de l'histoire de la Bretagne, sinon simplifiée au moins vulgarisée, que nous livre le Rennais Duhamel dans ce livre interdit par l’État français en 1939
Sans doute volontairement rédigé dans un langage simple pour mieux atteindre le petit peuple, ce livre présente l'histoire d'une nation. Aux propos liminaires sur l'héritage légué par les peuples néolithiques, se succèdent des explications sur
le peuplement de l'Armorique par les Celtes, puis par les Bretons insulaires et sur les relations entre les Francs (Franks) et les Bretons continentaux jusqu'à la date symbolique de 1532. Une date qui marque la fin du processus de l'union de la Bretagne à la France amorcé 44 ans plus tôt avec le fameux Traité du Verger et qui met un terme à la "Guerre folle" (2). Le dernier chapitre du livre expose les réflexions de l'auteur sur la place de la culture bretonne en contexte européen.

La réédition de ce singulier ouvrage propose une annexe rapportant les propos du militant breton fédéraliste de gauche, lors de la présentation de son livre devant la 13e section des Bretons émancipés de la région parisienne dont le président d'honneur est... Marcel Cachin. L'intention est claire : le livre est une opération de "désintoxication intellectuelle" qui veut dépasser les "autres façons d'écrire l'histoire", redonner sa place aux "petites gens", sujets (et pas seulement "sujets") de l'histoire. Si cette histoire là est militante, elle est surtout scientifique et se fixe, donc, pour objectif de dissiper le brouillard du surnaturel, de sortir d'une histoire religieuse ou aristocratique de la Bretagne et refuse d'attribuer au peuple breton des qualités uniques, d'en faire une sorte de "peuple élu" comme de coutume sous la plume des indépendantistes.

Original, l'ouvrage l'est assurément puisqu’il est, sans doute, encore le seul aujourd'hui à narrer l'histoire des Bretons à la lumière de la méthode marxiste. On notera, néanmoins, outre quelques raccourcis -mais un petit petit livre d'une centaine de pages ne peut, évidemment prétendre à l'exhaustivité- des approximations ou des biais cognitifs de confirmations d'hypothèses. Ainsi, on ne peut guère accepter de lire, de nos jours, que le peuple breton accepta le christianisme avec bienveillance. 

Ces phrases "Il est croyable que le christianisme naissant ne bouleversa pas davantage la morale celtique" (p. 32) puis plus loin "Ainsi les Bretons durent accueillir sans difficulté une religion qui ne s'opposait pas à leurs croyances traditionnelles, qui s'accordait avec leur morale (...)" (idem),  montrent une méconnaissance des mœurs du "bas-peuple" breton tel qu'il se présentait jusqu'au début du XIXe siècle. Ainsi, il est fort probable que pour un bon nombre d'habitants de cette Bretagne rurale, cette morale chrétienne resta fort mal connue pendant de nombreux siècles. Les mœurs du clergé breton ("on voit des évêques mariés qui se repassent la crosse de père en fils" écrit fort à propos Duhamel, p. 59) incitèrent, à l'évidence, ce petit peuple à préférer l'ancien état des choses en matière de spiritualité... Gwenc'hlan Le Scouézec va dans ce sens quand il affirme dans "Bretagne terre sacrée. Un ésotérisme celtique" paru en 1977, qu'une partie du petit peuple Breton ignorait, encore
au XVIIIe siècle, jusqu'au nombre exact de dieux qui composaient le "panthéon chrétien" (!)...

                                              Couverture de l'édition originale interdite en 1939

Livre intéressant donc, qui tient à distance l'hystérie identitaire et dont la lecture doit se faire avec la permanence de l'idée qu'il fut rédigé avec un état des connaissances sur l'histoire de la Bretagne daté des années 30 du XXe siècle, période où, par ailleurs la IIIe république multiplie les vexations à l'égard des Bretons. De surcroît,  il faut considérer que cette histoire  a été écrite par un auteur, fasciné comme bon nombre d'intellectuels de son époque, par un pouvoir soviétique favorable aux minorités et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et qui rêvait d'un pareil modèle pour la France et la Bretagne, de fait. Lemonnier J-M

(1) Qui est Breton ou qu'est-ce qu'un Breton nous demandera-t-on ? Nous n'entrerons pas dans cette discussion forcément polémique et idéologisée. En effet, si on peut se débarrasser -facilement- en répondant "celui qui a la nationalité française" à la question "qui est Français?", la première interrogation nous emmènerait bien trop loin au-delà du cadre de ce petit article.
(2) La "Guerre folle" est une révolte de seigneurs contre un pouvoir royal prétendu faible, du fait de la période de régence assumée par la jeune Anne de Beaujeu (de Valois) âgée de 22 ans et fille du défunt Louis XI. Cette "Guerre" s'achève en 1488 par la victoire des troupes françaises de Charles VIII sur les troupes de François II de Bretagne ( et de coalisés ) lors de la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier. Le Traité du Verger, conséquence de la défaite des féodaux et de François II, fait passer quatre places fortes bretonnes sous le contrôle du roi de France. Mais surtout, le Traité interdit à une héritière du duché de Bretagne de se marier sans l'accord du roi de France. Anne de Bretagne, fille de François II et héritière du duché de Bretagne, violera pourtant le traité en épousant Maximilien Ier du Saint Empire. Le roi de France fait annuler le mariage. Anne désormais promise à un prince, exige un mariage avec Charles VIII. Une fois mariés, le roi lui interdit de porter le titre de duchesse. Lors de son deuxième mariage avec Louis XII, Anne retrouve son titre.
Publié par Jean-Michel Lemonnier à vendredi, août 23, 2013 Lemonnier J-M