: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: Mythes et identités de la Roumanie
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lundi 17 mars 2014

Quelques mots sur l'histoire de la Roumanie durant la seconde guerre mondiale : tragédies et lâchetés diverses


"La Roumanie a une contribution insigne à la fin de la guerre" (Radio New-York, 18 septembre 1944)

Le passage de la Roumanie dans le camp des alliés "a produit un renversement du front extrêmement dangereux qui ménerait non seulement à la perte de La Roumanie mais aussi à celle de la Bulgarie, de la Yougoslavie et de la Grèce, mettant en danger toute l'armée allemande des Balkans" d'après Keitel et Guderian, maréchaux allemands dans un rapport envoyé à Hitler

Et pourtant...

Malgré ce fait historique décisif évident, la Roumanie n'a pas été "récompensée" par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale. En réalité, elle aura été constamment manipulée par les grandes puissances de la fin des années 30 jusqu'à l'invasion soviétique à la fin de la guerre. 

Carol II et sa camarilla laisseront faire les nazis et les soviétiques qui dépècent la Roumanie en 1940. Hitler impose le diktat de Vienne et oblige la Roumanie à revoir ses frontières de 1918-1920 (Union et Traité de Trianon) également avec la Bulgarie et la Hongrie. La Roumanie est parfaitement isolée après la défaite française de 1940, totalement impuissante face aux visées irrédentistes de ses voisins. 

Le Roi Carol II finit par laisser sa place (il ne prononcera jamais le mot abdication) à son fils Michel Ier sur ordre du Maréchal Antonescu (1), héros de la première guerre (le "Pétain roumain") qui crée l'Etat national-légionnaire en formant une coalition éphémère avec la Garde de Fer (2) ou mouvement légionnaire du défunt Codreanu assassiné en 1938 sous le règne de... Carol II. Hitler fait miroiter à Antonescu -qui n'adhère pas au nazisme rappelons-le-  la récupération des territoires perdus et lui laisse administrer la Transnistrie (pas d'annexion roumaine).

Guerre sainte contre le bolchévisme, timbre roumain de 1941
Or donc, du pacte Molotov-Ribbentrop à l'accord Churchill-Staline en 1944, le bilan est catastrophique sur plusieurs points. La Grande Roumanie (2) (la Roumanie intégre ou complète) disparaît, laissant la place à une Roumanie amputée de la Bessarabie et de la Bucovine, soit une perte territoriale d'environ 58000 km2.  
La coût humain de la guerre est monstrueux : presque 800000 morts. L' économie du pays est ruinée, ses ressources naturelles dévastées et, cette Roumanie qui rejoint pourtant le camp allié à la fin de la guerre est dans  l'obligation d'entretenir l'armée d'occupation soviétique et de payer des réparations aux vainqueurs. De plus, l'URRS se servira de la chair des soldats roumains en les envoyant au front exposés en première ligne contre les Allemands après 1944. Et encore, la Roumanie devra fournir 100000 ouvriers à l'URSS, des Saxons ou des Souabes, i.e. principalement la minorité allemande de Roumanie/Transylvanie. Ils seront déportés en Sibérie qui sera un tombeau pour beaucoup...

Et ce, malgré les tentatives du roi Michel Ier (Roi "sous tutelle" de 1927 à 1930 puis en septembre 1940 alors qu'il n'a que 19 ans) d'apaiser les souffrances de son peuple en engageant des négociations avec  les Alliés pour obtenir une capitulation "exclusive" face aux Anglo-étasuniens et en déclarant la guerre aux puissances de l'axe le 23 août 1944 (cf. infra Dialogue entre Antonescu et le Roi) une fois Antonescu destitué. En vain, la Roumanie est aux mains des Soviétiques en 1944. La "Grande Roumanie", tellement prometteuse sur le plan culturel notamment (voir la période l'entre-deux-guerres) et promise à devenir une puissance européenne importante devra subir une soviétisation-satellisation forcée...au moins jusqu'au règne du francophile Ceausescu qui tentera de réhabiliter des figures importantes de la scène culturelle roumaine et mondiale  et faire "rentrer au pays" certaines d'entre elles (en vain...)...Enfin, faut-il rappeler que le P.C.R. accueillit en son sein de nombreux fascistes roumains après accords passés avec Ana Pauker ministre communiste juive orthodoxe ? Une Ana Pauker accusée ensuite de "déviance dextriste" (!) et "excommuniée" lors du tournant antisémite des partis staliniens au début des années 1950. 



(1) En "Occident", le conducator est, la plupart du temps, perçu comme un fasciste, antisémite virulent. En Roumanie, le regard porté sur ce personnage diverge sensiblement de cette vision...La preuve avec cettte série d'articles  récents publiés dans une revue roumaine d'histoire... Lien vers : Ion Antonescu, fut-il un héros ? Impensable que des historiens français puissent, simplement, poser la même question au sujet de Philippe Pétain...
(2) Le programme politique et disons la "vision du monde" des membres de la Légion de l'archange saint Michel de Codreanu n'avait, in fine, que peu à voir avec le gouvernement de soudards de Ion Antonescu qui ne fut à tout dire  qu'un opportuniste 
(3) Le Traité de Trianon en 1920 officialise l'Union de tous les pays roumains. Le géographe français Emmanuel de Martonne sera chargé du traçage des frontières du Royaume

mercredi 21 août 2013

Correspondance de Vlad III adressée à Matthias (Matei) Corvin, roi de Hongrie


ROGOZ (G. V.), Drǎculeştii, Cutezǎtorii, Editura Albatros, Bucureşti, Republica Socialistǎ România, 1977

 



Ma traduction d'une lettre (réécrite en roumain moderne) de Vlad III adressée à Matthais (Matei) Corvin, roi de Hongrie de 1458 à 1490 :

"Nous ne voulons pas nous enfuir devant leur sauvagerie, mais les combattre de n'importe quelle manière. Et si nous arrivons, Dieu nous en garde, à une fin tragique, notre petit pays [la Valachie] sera anéanti. Cela ne servira pas non plus à votre Grandeur, car cela provoquera un grand dommage à la chrétienté entière."

vendredi 18 mai 2012

Le mythe et la pensée mythique : aspects théoriques... à la lumière du "cas roumain"

Nous ne considérons pas ici (et dans le titre de notre essai) le  mythe entendu au sens courant et qui renvoie donc à une croyance erronée : le mythe comme synonyme de mensonge... Bien au contraire, c'est la définition du mythe telle que formulée par l'historien des religions ou l'anthropologue/ethnologue que nous acceptons.  Avec Mircea Eliade ou Claude Levi-Strauss, bien que  leurs études des mythes (et de fait, de la "pensée mythique") relèvent d'approches différentes, nous entendons le mythe au sens de vérité immuable, "éternelle" et s'inscrivant en dehors du Temps historique et linéaire. La vérité du mythe n'est donc pas contestable (pour celui qui y croit à l'évidence). Le mythe est toujours renouvelé puisque propre, a priori, aux sociétés dont la conception du temps est cyclique...

Le mythe est donc une vérité d'ordre anthropologique qui rend compte aussi bien de la réalité des sociétés archaïques, disons "anciennes", "premières" ou "traditionnelles" que de certaines réalités dans notre société "occidentale" moderne ou postmoderne. Notre société "occidentale" (voir le livre "la Roumanie  :Mythes et identité" pour une discussion sur ce sujet) n'est en, effet pas exemptes d'"aspects mythiques"... Dans le cas roumain qui nous intéresse dans notre essai, cette réalité là s'affirme encore de bien des manières...

 Il nous faut également insister sur l'opposition (apparente) Temps mythique ou cyclique/Temps historique pour appréhender le mythe.

C'est le christianisme ou plutôt les Pères de l’Église qui, en Occident, imposent le Temps linéaire. Cette conception du temps s'affirme ensuite à la Renaissance puis au siècle des Lumières... En effet, Jésus-Christ "l'homme-Dieu" s'incarne dans l'Histoire. L'incarnation christique impose alors définitivement une nouvelle représentation du temps, un début (la genèse) et une fin (l'Apocalypse et les spéculations eschatologiques corollaires). Il était inconcevable que le Christ ne revienne encore sur Terre accomplir Le sacrifice. Celui-ci était accompli une fois pour toutes. De cette conception du Temps découle l'idée d'évolution, de "progression" ou progrès... Néanmoins, la réactualisation rituelle, durant l'année liturgique, des épisodes de la vie du Christ implique certainement l'idée de cycle, de renouvellement... En outre, -et notre essai insiste largement sur cet état de fait- ce Temps cyclique ou mythique n'est pas totalement aboli de nos jours, dans des sociétés  dont l'entrée dans la modernité ou postmodernité est bien avancée ou définitive (?)...


Ce que disent -"dans le texte"- Mircea Eliade et Claude Levi-Strauss sur le mythe et la pensée mythique :

"Le mythe est censé exprimer la vérité absolue, parce qu'il raconte une histoire sacrée, c'est à dire une révélation trans-humaine qui a eu lieu à l'aube du Grand Temps dans le temps sacré des commencements (in illo tempore)" Mircea Eliade, 1957, Mythes, rêves et mystères

"Loin d'être, comme on l'a souvent prétendu, l’œuvre d'une  'fonction fabulatrice" tournant le dos à la réalité, les mythes et les rites offrent pour valeur principale de préserver jusqu'à notre époque, sous une forme résiduelle, des modes d'observation et de réflexion qui furent (et demeurent sans doute) exactement adaptés à des découvertes d'un certain type ; celles qu'autorisait la nature, à partir de l'organisation et de l'exploitation spéculatives du monde sensible en termes de sensible. Cette science du concret devait être, par essence, limitée à d'autres résultats que ceux promis aux sciences exactes et naturelles, mais elle ne fut pas moins scientifique, et ses résultats ne furent pas moins réels. Assurés dix mille ans avant les autres, ils sont toujours le substrat de notre civilisation." 
Claude Levi-Strauss, 1962, La Pensée sauvage

L'intellectuel roumain Lucian Blaga  nous parle aussi, à sa manière, d'une pensée mythique, d'un rapport au temps particulier, qui perdure dans les campagnes roumaines au début du XXe siècle :
"Vivre à la campagne signifie vivre dans une perspective cosmique et avec la conscience d’une destinée liée à l’éternité  " Lucian Blaga, 1936

Notre essai "La Roumanie : mythes et identités " intervient, donc, pour montrer que le Temps du mythe, s'il n'a pas totalement été évacué de certains espaces ruraux isolés de la Roumanie actuelle, influence -de manières qui peuvent paraître surprenantes- les représentations du monde de nombre de Roumains  entrés comme vous et moi dans la postmodernité...