: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: guerres de demain
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mardi 26 avril 2022

Guerres de et pour l'Eurasie (introduction).

N.B. : Ma condamnation de l'"opération spéciale", sans novlangue la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine est définitive et absolue. Bien malin celui qui allait prévoir que la Russie frapperait en premier. Mais (ce n'est rien excuser pour les grincheux qui liraient), il est nécessaire de remettre les choses en perspective. Les quelques articles présents sur ce blogue aident à comprendre cette situation. 

Même si j'ai écrit dans une poignée d'articles mon intérêt pour le "soft power" russe,  LA GUERRE EST PURE DEMONIE. UNE ABOMINATION. POINT FINAL. Pour que les choses soient claires. Je n'ai jamais été un admirateur de Poutine contrairement à d'autres. Le personnage ne m'inspire aucune fascination. Il est toujours utile de le préciser quand certains confondent cyniquement volonté de construction d'un "Grand continent" politique (Eurasie politique) avec un culte de la personnalité..."Pas de blanc-seing à Poutine" écrivais-je il y a quelques années...

Par contre, la Russie redevenue une grande puissance a été une bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent un monde multipolaire. C'était sans compter sur l'Hubris de ses dirigeants.

Il faut continuer d'espérer que dirigeants du monde euro-américain, ukrainiens et russes trouveront une solution diplomatique à ce conflit. La France et l'Allemagne doivent construire l'axe Paris-Berlin-Moscou et proposer une voie différente de celle des Anglo-Américains peu aptes à la diplomatie. La voie du BLOC CONTINENTAL construite par/sur des alliances économiques, militaires (dissuasion), liens culturels bien différente de celle l'Europe Atlantique qui ne soucie guère des peuples européens est une solution de paix durable. J'en ai parlé à de nombreuses reprises.

Introduction d'un manuscrit de 2015/2016. Un livre non publié envoyé à 1 dizaine d'éditeurs (j'ai réussi à en faire publier 2 auparavant, j'ai écrit 6 articles scientifiques, 1 flopée d'articles "grands public" et soutenu avec succès une thèse de doctorat en géographie humaine récemment).  

La tragique actualité donne malheureusement raison aux thèses qui sont développées dans ce livre non publié, envoyé début 2016 et refusé par plusieurs éditeurs (sans commentaires). Les lecteurs de ce blogue peuvent profiter de larges passages de ce qui devait devenir un bouquin en librairie... L'introduction qui suit est à lire avec la série d'articles (extraits de mon livre) qui se trouve sur ce blogue, vous les trouverez ici : 

http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.com/search/label/g%C3%A9opolitique 

https://jeanmichel-lemonnier.blogspot.com/search/label/Eurasie 

Les différents textes sont livrés sans corrections, tels qu'ils ont été écrits il y a environ 7 ans.

 


Guerres du Rimland, guerre pour l'Eurasie :

Géopolitique du Grand Continent au XXIe siècle

 

 

Introduction

Des Balkans à l'Ukraine, de la Russie au Moyen-Orient en passant par le Caucase, nous observons des conflits armés, des conflits larvés qui tous impliquent, d'une manière ou d'une autre, le Bloc Américano-Occidental (BAO) et la Russie. Pour tenter d'appréhender cet état des choses général, nous faisons le choix d'une grille d'analyse ou de lecture particulière. Le fait que de poser un cadre théorique nous permet d'observer finement des situations très concrètes, de comprendre le jeu complexe des acteurs et de prendre du recul vis-à-vis d'événements géopolitiques récents afin d'éviter les pseudo-analyses empiriques. En ce qui nous concerne donc, à la suite de certains géopolitologues nous adhérons à l'idée de l'opposition entre deux blocs ou deux puissances qui incarnent deux types de civilisations : la civilisation de la Terre représentée par un bloc eurasiatique, continental, au sein duquel la Russie est le pôle géopolitique de référence et la civilisation de la Mer représentée par les Etats-Unis d'Amérique et ce que nous pouvons nommer ses "vassaux". Nous pourrions dire que se déroule à nouveau le combat qui toucha tout le monde antique et dura plus de cent ans, entre la Carthage phénico-punique et son armée de mercenaires et sa rivale la république romaine, entre une civilisation maritime basée sur le commerce, la marchandise-argent et une civilisation de type héroïque, entre marchands et paysans-guerriers, entre  thalassocratie et tellurocratie. Une guerre qui s'achèvera par la destruction de la cité carthaginoise par les Romains... Plus encore sommes-nous devant la réactualisation, sinon la permanence, de la rivalité entre Rome et Byzance, entre Rome et la deuxième Rome qui a produit deux types de civilisations différenciées qui s'est incarnée à l'époque moderne dans la lutte entre Rome c'est-à-dire Londres puis Washington et la "troisième Rome" à savoir Moscou. Entre ces deux grands ensembles, il y a une Europe qui ne s'identifie pas à l'Occident atlantique mais sommée de faire un choix. Disons plus précisément qu'il existe une élite politique, économique, intellectuelle européenne à qui les Etats-Unis d'Amérique imposent une conduite, une alliance forcée depuis 1945. Ce qui se passe aujourd'hui de l'Irak à l'Ukraine de la Syrie à la Russie, ce sont bien des guerres locales qui s'inscrivent dans une perspective de guerre globale. Car c'est bien de cette lutte pour la domination de l'Eurasie[1] dont il est question aujourd'hui. Le contexte géopolitique est extrêmement grave. Les principaux acteurs - les Etats-Unis d'Amérique et la Russie - étant des puissances nucléaires, la guerre peut s'étendre à la planète toute entière. La Deuxième (et non pas la Seconde) Guerre mondiale s'est achevée au Japon par un massacre de masse "éclairé" à la lumière d'un immense éclair chtonien. La troisième guerre mondiale commencera ou finira-t-elle par une autre extermination technicienne totalement démesurée permise par un nouveau déchaînement de la matière ? Evidemment, même si cette issue fatale pour l'humanité entière ne présente aucun caractère certain, nous ne pouvons pour autant exclure l'éventualité d'une nouvelle utilisation militaire du feu atomique. La doctrine dissuasive de la "destruction mutuelle assurée" née de la guerre froide a-t-elle vécu ?

Or donc, cette grille de lecture qui, de prime abord, peut paraître binaire, est en fait très subtile, car si elle propose d'identifier le jeu de deux ensembles ou acteurs principaux différenciés, elle laisse pour autant une large place à un examen poussé du rôle d'acteurs et pouvoirs étatiques ou intra-étatiques (rebelles sécessionnistes, nationalistes ethniques...), transétatiques (terroristes, firmes transnationales, réseaux criminels...) tour à tour hésitant, refusant l'un ou l'autre bloc, agissant parfois par pur pragmatisme. A titre d'exemples, on retrouve ce comportement  chez certains nationalistes ukrainiens, roumains ou au sein des organisations terroristes islamistes. Nous considérons, en outre, que les Etats n'ont jamais cessé d'être les principaux acteurs du jeu géopolitique. L'influence de la géographie sur la politique est fondamentale et les intérêts et postures des Etats peuvent être expliqués par le milieu physique. Même si le progrès technique a largement permis de s'affranchir des contraintes physiques des territoires, le comportement des acteurs reste pour une grande part et, apparemment, en priorité déterminé par leur situation géographique (position sur la carte) mais aussi les contraintes biogéographiques, géologiques et géomorphologiques. A ce déterminisme géographique, il faut ajouter le rôle de l'idéologie qui s'articule au premier. Les réalités identitaires sont également à prendre en compte. Les hommes s'inscrivent sur un territoire, l'investissent et développent une culture, une identité. Seulement, au fil des siècles, une même communauté humaine peut se retrouver dispersée dans plusieurs Etats ou isolés au sein d'un seul. La carte d'un Etat ne correspond pas ou plus à la carte d'une seule ethnie, ou d'un seul groupe religieux. C'est là que peuvent apparaitre, à la faveur de certaines conditions, les conflits de type identitaire accompagnés de manipulations idéologiques qui leur sont souvent inhérentes (le protochronisme dans les anciennes démocraties populaires d'Europe centrale et orientale niant le pluriethnisme et la multiculturalité). Ces conflits ouverts ou gelés, armés ou non, résultent donc du fait de la non-correspondance  de la carte des Etats avec celle des communautés partageant une identité commune qu'elle soit ethnique et/ou religieuse, finalement un destin commun. Il est, bien sûr, nécessaire de prendre en compte les dynamiques démographiques ou de peuplement sur le temps long de l'histoire pour obtenir une vision globale des choses. La géographie des ressources naturelles exploitables et commercialisables qui recoupent en partie celle du milieu physique, ajoute à la compréhension des rapports de forces entre les différents acteurs. Enfin, les facteurs de puissance (possession ou non de l'arme atomique) doivent intégrer l'analyse géopolitique. Ainsi, nous voyons bien que l'analyse d'une situation dans le cadre des relations internationales doit éviter les explications monocausales et de plus s'écarter par instants de l'approche purement géopolitique, et prendre nécessairement en compte de multiples facteurs pour éviter de sombrer dans la propagande, la pure idéologie. En cela, les idéologues marxistes ou libéraux - pour ne citer qu'eux - ne sont en mesure que de fournir des clés de compréhension partielle du monde. Pour autant toute tentative d'analyse objective géopolitique ou non reste purement illusoire.

Par conséquent, nous ne pouvons saisir l'intégralité du sens du conflit entre le Bloc Américano-Occidental et l'Eurasie qu'à travers l'étude des conflits armés. Il est multidimensionnel. Il est tout à la fois géopolitique,  économique, culturel, anthropologique mais également métaphysique. Car en effet, cet affrontement prend encore la dimension d'une guerre occulte mettant face à face deux conceptions du monde qui résistent aux agitations historiques de surface. Au vrai, ce conflit est opposition de visions du monde antithétiques et irréconciliables mais pourtant complémentaires. Cet antagonisme n'est pas nouveau et il nous faut aller au-delà de l'écume des événements pour en comprendre les raisons plus ou moins dissimulées ou qui n'apparaissent pas tout de suite évidentes pour un observateur ne possédant pas les outils conceptuels nécessaires pour en déchiffrer le sens. Ce sujet nous invite donc a explorer les eaux profondes de l'histoire, ses constantes, ses continuités, ses permanences et parfois ses ruptures. Conflit ouvert et latent, armé et non armé, symbolique, symétrique, dissymétrique ou asymétrique avec ses divers représentations ("guerre sainte", "guerre juste") tout un travail de décryptage est à faire. Ce petit livre intervient pour tenter d'éclairer une situation complexe et d'ouvrir des pistes de réflexions en partie dans une dimension prospective.



[1] Une définition  très simple de l'Eurasie en fait l'addition de l'Europe et de l'Asie. C'est une définition géographique convenable mais qui ne dit absolument rien d'un point de vue géopolitique ou géostratégique.

 

vendredi 25 février 2022

dimanche 8 mars 2020

Guerres de et pour l'Eurasie (suite) - Guerres actuelles et fronts de demain : Turquie/Grèce-Syrie-Russie


Depuis le 11 septembre, les Etats-Unis ont assigné à la Turquie le rôle de "Pont civilisationnel" entre Orient Occident. Membre de l'OTAN depuis 1952, la Turquie est un allié de longue date de Washington. Les premiers accords de coopération entre les deux entités datent de l'époque de l'Empire ottoman, mais c'est surtout après la Deuxième Guerre mondiale que la Turquie devient un partenaire solide des Etats-Unis malgré les désaccords récents entre Washington et Ankara portant, en autres, sur la question kurde. La Turquie est considérée comme un grand allié d'Israël dans la région. Mais, les  condamnations récurrentes par Recep Tayyip Erdogan de la politique israélienne envers les palestiniens ont, cependant, quelque peu refroidi les relations entre les deux pays.

La Turquie est perçue dans le monde arabe comme l'héritière de l'Empire ottoman. Les Turcs veulent se différencier des Arabes et des Iraniens. De leur côté les Arabes se sentent peu d'affinités avec les Turcs et les Iraniens et ces derniers refusent d'être confondus avec les Turcs majoritairement sunnites et les Arabes sunnites ou non. La construction artificielle des Etats-Nations dans la région a eu pour conséquences désastreuses l'extermination de centaines de  milliers de personnes appartenant aux minorités ethniques et religieuses, notamment kurdes et palestiniennes. Le génocide arménien qui a fait entre 1,2 et 1,5 millions de morts est encore une plaie béante. Le retrait des Russes en 1917 suite à la révolution bolchévique favorise encore la politique d'extermination menée contre les Kurdes et Arméniens, mais également celle des Assyro-chaldéens et d'autres minorités présentes sur le territoire de l'Empire ottoman en pleine désagrégation. L'animosité sinon la haine entre les différents peuples de la région est encore très vivace. La détestation des Turcs pour les Arabes est très vive, à tel point que les signes de ce rejet du monde arabe se manifestent dans les écoles turques : dans les cours coraniques l'arabe est enseignée comme une langue morte... La Turquie, membre de l'OTAN, est par ailleurs considérée, à juste titre, comme l'alliée d'Israël. Qui plus est, l'alliance des voisins syriens et irakiens avec la Russie renforce encore la méfiance des Arabes envers les Turcs. Des contentieux historiques et toujours pas réglés pourrissent les relations entre la Turquie et ses différents voisins. Entre 2012 et 2015, les incidents à la frontière turco-syrienne se sont multipliés, des avions ont été détournés ou abattus. Les relations de la Turquie avec l'Irak ne sont guère plus cordiales. Aux signes de détentes entre les deux Etats succèdent des tensions en relation avec la forte présence kurde (PKK, parti des travailleurs du Kurdistan) dans le nord de l'Irak, surtout à l'époque de Saddam Hussein. L'assassinat de celui-ci par la coalition internationale (comprendre l'anglosphère) et la destruction en règle du pays par cette même coalition n'a pas vraiment changé la donne diplomatique entre ces deux pays, même si la zone kurde a pu représenter durant un moment une sorte de glacis protecteur pour l'Etat turc.

Erdogan ne pourrait supporter la défaite des islamistes en Syrie avec qui il commerce. Il existe en, effet, une route du pétrole de l'EIIL, avec pour centre de ce trafic, le port turc de Ceyhan. Un représentent des services de renseignements irakien expose la mécanique de ces opérations de contrebande pétrolière. Le pétrole est vendu au plus offrant et ce sont à la fois des Turcs, des Iraniens, des Syriens ou des Kurdes irakiens qui se disputent sur ce marché parfaitement illégal. Le pétrole part en camion de la province de Ninive (Nord de l'Irak) et arrive à Zakho au Kurdistan irakien, ville située à proximité de la frontière turque où les convois sont accueillis par intéressés sus-cités. Les camions franchissent ensuite la frontière (très poreuse avec la Turquie) pour atteindre la ville de Silopi en Anatolie du sud-est. A partir de là, il est impossible de connaître la provenance de l'hydrocarbure puisque les sources d'approvisionnement se confondent. Il est alors illusoire d'essayer de distinguer le pétrole de l'EIIL venu du territoire irakien contrôlé par l'organisation islamique, de celui extrait dans le territoire kurde irakien. Le pétrole est, ensuite, acheminé vers Israël par des sociétés de transport maritime, dont certainement celle de Bilal Erdogan, fils de l'actuel président turc. En conséquence, Israël peut être considéré comme un client de l'EIIL. Le ministre syrien de l'information Omran al-Zoubi est convaincu que la famille Erdogan est largement impliquée dans le trafic d'hyrdocarbures mais aussi d'œuvres d'art avec l'organisation terroriste : "All of the oil was delivered to a company that belongs to the son of Recep [Tayyip] Erdogan. This is why Turkey became anxious when Russia began delivering airstrikes against the IS infrastructure and destroyed more than 500 trucks with oil already. This really got on Erdogan and his company’s nerves. They’re importing not only oil, but wheat and historic artefacts as well ' "[1]. L'implication d'Israël dans ce trafic mafieux est, quant à elle, dévoilée  par le média al-Araby : "According to a European official at an international oil company who met with al-Araby in a Gulf capital, Israel refines the oil only "once or twice" because it does not have advanced refineries. It exports the oil to Mediterranean countries - where the oil 'gains a semi-legitimate status' - for $30 to $35 a barrel. 'The oil is sold within a day or two to a number of private companies, while the majority goes to an Italian refinery owned by one of the largest shareholders in an Italian football club [name removed] where the oil is refined and used locally," added the European oil official. 'Israel has in one way or another become the main marketer of IS oil. Without them, most IS-produced oil would have remained going between Iraq, Syria and Turkey. Even the three companies would not receive the oil if they did not have a buyer in Israel' said the industry official. According to him, most countries avoid dealing in this type of smuggled oil, despite its alluring price, due to legal implications and the war against the Islamic State group"[2]. On comprend donc bien la nervosité d'Ankara depuis le début de l' intervention russe. L'aviation russe détruit, en effet, régulièrement des convois. Depuis le début des opérations militaires au Levant, la Russie doit donc se méfier de la Turquie censé pourtant combattre les groupes djihadistes. L'armée turque occupe le nord de la Syrie et s'oppose aux Kurdes syriens. Depuis de nombreuses années, la Turquie d'Erdogan est une alliée du Qatar qui a, notamment, financé les Frères musulmans en Egypte mais aussi Daech et qui souhaite la chute du président syrien. En conséquence, quand l'armée russe a commencé à bombarder les positions des djihadistes salafistes dans le nord de la Syrie, Moscou est finalement entrée en conflit avec Ankara. Le 24 novembre 2015, après plusieurs semaines de tensions turco-russes, un bombardier russe Soukhoï Su-24, accusé d'avoir violé l'espace aérien turc est abattu par un F-16 turc. Un événement sans précédent depuis des décennies. C'est en effet la première fois depuis la guerre de Corée. qu'un appareil russe est la cible d'une armée d'un Etat membre de l'OTAN. Le bombardier russe abattu et l'assassinat d'un pilote russe ont été un prétexte pour exacerber la stratégie de la tension menée par le président turc Erdogan. Le lieutenant-colonel Oleg Peshkov qui a réussi à s'éjecter de son avion - avec son camarade qui lui a survécu - a donc été tué par Alparslan Celik, chef de la brigade turkmène syrienne, cinquième colonne d'Erdogan en Syrie. Les jours précédents l'attaque de l'avion et l'assassinat du militaire russe, la brigade turque avait dû reculer face à l'offensive des forces armées Syriennes agissant en coordination avec l’aviation Russe dans la province Nord de Lattaquié, située à proximité de  la frontière turque. Conséquemment à ces actes terroristes perpétrés par le pouvoir turc, la réaction de Moscou ne s'est pas faite attendre : suspension des relations commerciales entre les deux pays, expulsion des entreprises turques travaillant en Russie, etc. Ce boycott a généré des pertes financières faramineuses pour l'économie turque. Erdogan n'a pas anticipé la réaction de l'ours russe. Les forces syriennes loyalistes progressent et repoussent les combattants de l'EIIL grâce au soutien de l'aviation russe. Le nord de la Syrie est peu à peu libéré des groupes terroristes.

De surcroît, Erdogan ne peut envisager l'idée d'un Etat kurde aux frontières de la Turquie. Mâter les rebelles kurdes est la préoccupation d'Ankara bien avant la lutte ou pseudo-lutte contre l'EIIL à laquelle la Turquie feint d'adhérer. Dans le sud-est de la Turquie, à majorité kurde, des combats entre l'armée turque et le PKK ont repris à l'été 2015. Cette lutte à mort entre le pouvoir central et les rebelles a déjà fait 40000 morts depuis une trentaine d'années. C'est, d'ailleurs, en partie grâce aux bombardements turcs visant les positions kurdes que les djihadistes de l'EIIL progressent dans certaines zones. Les Kurdes sont accusés de perpétrer tous les actes terroristes qui touchent la Turquie, comme ce fut le cas suite à l'attentat de février 2016. Les organisations kurdes PKK (Parti des travailleurs) le PYD (Parti de l'union démocratique) branche syrienne du PKK et ses miliciens de l'YPG qui revendiquent un Kurdistan syrien et combattent autant Ankara que Damas, sont désignés comme les responsables de l'attentat du 17 février 2016 qui a fait 28 victimes et visé des fonctionnaires civils de l'état-major et des soldats de l'armée. "Même si les dirigeants du PYD et du PKK disent qu'il n'y a aucun lien avec eux, sur la base des informations obtenues par notre ministre de l'Intérieur et nos services du renseignement, il a été établi que (l'attentat) avait bien été commis par eux" déclare Erdogan après les attentats. Le président turc souhaite l'arrêt des bombardements russes sur les positions de ses alliés islamistes et utilise le prétexte des attentats pour tenter de justifier une intervention des troupes turques et saoudiennes en Syrie.

Enfin, des mouvements de troupes turques ont été observés vers les frontières de la Turquie avec la Grèce et la Syrie. Depuis le début de l'année 2016, des avions militaires turcs violent régulièrement l'espace aérien grec. Le 15 février 2016, on recense vingt violations de l'espace aérien grec par des chasseurs turcs ! La Turquie conteste depuis des décennies la souveraineté la Grèce sur une partie de la Mer Egée, à la question de la délimitation des eaux territoriales s'ajoute donc celle de l'espace aérien. De surcroît, depuis 1974, la question chypriote participe évidemment à créer un climat de tension extrême entre les deux Etats. Le peuple  de la partie grecque de l'île étant bien entendu soutenu par la Russie. L'ensemble de ces éléments peuvent laisser craindre un possible conflit entre la Turquie et la Grèce, toutes deux...membres de l'OTAN. Déjà en 1987 et 1996, un affrontement militaire fut près d'éclater à propos des litiges territoriaux gréco-turcs. En Grèce, l'idée (la "Grande idée", "Megali Idea") de réunir les peuples grecs au sein d'un même Etat resurgit à intervalles réguliers dans les débats politiques[3]... Le souvenir du massacre de 360000 chrétiens grecs de la zone pontique par les Turcomans au début du XXe siècle est, en outre, profondément ancré dans la mémoire collective grecque[4]... 




Signalons que la Turquie possède une base militaire nucléaire étasunienne sur son territoire (2016)... Enfin, il faut insister sur le fait qu'Erdogan, à l'occasion, ne craint pas de rappeler la glorieuse époque de l'Empire ottoman dont la Turquie serait l'héritière. Certains petits nationalistes turcs sont toujours nostalgiques de l'Empire et le pantouranisme visant à l'unification des peuples de langues turques et finno-ougriennes est une idéologie qui a ses défenseurs à Ankara mais également à Budapest[1]. La Turquie cherche, depuis des décennies, avec plus ou moins de succès à étendre son influence, perdue après la disparition de l'Empire ottoman, aux Balkans mais aussi au Caucase. Il n'est pas anodin de rappeler que durant les guerres yougoslaves - même si durant le conflit Ankara tient une position que l'on peut qualifier de modérée sinon de neutre - une frange de la population bosniaque musulmane brandit des drapeaux turcs lors de  manifestations à Sarajevo...
A l'automne 2015, une guerre ouverte entre la Russie et la Turquie n'a jamais été aussi près d'éclater. Ankara menace régulièrement de fermer le détroit du Bosphore à la marine russe. Une telle décision menacerait directement la survie des troupes russes basées dans le gouvernorat de Lattaquié. Poutine ne peut répondre militairement aux provocations du vieil ennemi turc mais chacune d'elles peut potentiellement transformer ce conflit larvé entre la Russie et ses alliés d'un côté et les puissances de l'OTAN de l'autre en une nouvelle déflagration mondiale. Le 14 mars 2016, Poutine, considérant que les objectifs de l'intervention russe ont été atteints, ordonne le retrait d'une part de ses troupes en Syrie, tout en assurant que des bases aériennes seront toujours opérationnelles dans l'ouest de la Syrie (base navale de Tartous et base aérienne de Khmeymim à proximité de Lattaquié). Que nous dit cette décision brutale ? La Turquie qui brûle...d'envie d'envahir la Syrie a-t-elle les moyens de lancer une offensive contre la Syrie d'Assad ? En l'état des choses de cette première moitié du mois de mars 2016, une telle initiative serait très risquée pour la Turquie. D'une part, comme nous venons de l'écrire des troupes russes sont toujours présentes en Syrie. La Russie n'abandonne donc pas Assad et son peuple. D'autre part, l'intervention russe a permis au pouvoir central syrien de se renforcer (Assad a donc montré jusqu'ici une capacité de résistance impressionnante) tout en affaiblissant l'EIIL. Ces éléments font que toute entreprise guerrière dirigée par la seule Turquie est vouée à l'échec, à part si elle est soutenue par ses alliés du BAO, mais la dimension du conflit changerait alors de manière tout à fait radicale. Or, les Etats-Unis semblent de plus en plus se méfier du pouvoir turc actuel (comme des monarchies du Golfe) et il est fort possible que Washington et Moscou partagent le même objectif commun qui serait de pousser Erdogan vers la sortie. Les Etats-Unis avec Israël défendent le projet de Nouveau Moyen-Orient qui prévoit la partition de la Turquie et la Russie verrait d'un très bon œil la disparition de cette entité turque qui n'a pas abandonné ses rêves (creux ?) pantouraniens, de réunification - sous une forme ou une autre - des peuples turcophones des Balkans aux steppes d'Eurasie...
ARTICLES LIES : GUERRES DE ET POUR L'EURASIE

Extrait d'un livre non publié (Jean-Michel Lemonnier, 2016).

[1] Voir Lemonnier, JM. (2015). Les nouvelles relations magyaro-roumaines. Quelles conséquences en Roumanie ? Retours historiques, situation actuelle, perspectives. source : https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01179263/document









[1] "ISIS Oil Trade Full Frontal: "Raqqa's Rockefellers", Bilal Erdogan, KRG Crude, And The Israel Connection", http://www.zerohedge.com/news/2015-11-28/isis-oil-trade-full-frontal-raqqas-rockefellers-bilal-erdogan-krg-crude-and-israel-c, en ligne le 29/11/2015, consulté le 20/02/2016

[2] "Raqqa's Rockefellers: How Islamic State oil flows to Israel", http://www.alaraby.co.uk/english/features/2015/11/26/raqqas-rockefellers-how-islamic-state-oil-flows-to-israel/, en ligne le 26/11/2015,  consulté le 20/02/2016


[3] Couroucli, M. (2009). Le nationalisme de l'Etat en Gèce. In Dieckho , A. et Kastoriano, R. Nationalismes en mutation en Méditerranée Orientale, CNRS Editions, pp.41-59, 2002.<halshs-00352985, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00352985/document, mis en ligne le 14/01/2009


[4] Photiades, K. (1987). The annihilation of the Greeks in Pontos by the Turks. http://www.greek-genocide.org//docs/the_annihilation_of_the_greeks_in_pontus.pdf, consulté le 02/04/2016