: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: littérature
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jeudi 21 juillet 2016

Publication scientifique : Un dialogue fécond entre société archaïque et monde moderne : Brânduş et Agrippine dans la nouvelle « La fille du capitaine » de Mircea Eliade



  • Author(s): JEAN-MICHEL LEMONNIER
  • Language: French
  • Subject(s): Language and Literature Studies
  • Issue: 2/16/2015
  • Page Range: 24-49
  • No. of Pages: 26
  • Keywords: modernity; archaic societies; Mircea Eliade; globalization; archetypes; historicism; education
  • LIEN : https://www.ceeol.com/search/article-detail?id=414580
  • Summary/Abstract: In the last chapter of "The Myth of the Eternal Return", Mircea Eliade confronts two types of conceptions of the existence peculiar to two categories of human being: the modern man who claims to make history and the archaic man, anhistorical who complies with archetypes, sacred prototypes, for whom this is the only reality. We hypothesize that the Roman scientist imagined a meeting between these two persons in the novel "The Captain's Daughter". We will see that the discussion between Brânduş and Agrippine which may appear senseless, to the point that we could consider we are reading a "dialogue of the deaf", a inapprehensible fictional narrative -the postmodern writing serving this impression- is at the same time an opposition and a fertile confrontation revealing the coexistence of two worlds, in prima facie, apart from each other. Mythos against logos, holistic education and respect for biocosmic rhythms against academic culture, etc. are all antagonisms that the conversation between the two protagonists puts into perspective, notably according to the Philippe Descola's ontological scheme. So, if the characters don't get along well, their disagreements allow to discover the criticism that archaic man would make to the modern man and vice versa. Consequently, if at the end of the conversation between Brânduş and Agrippine, the apparent lack of comprehension seems reciprocal, the finding of such disagreement gives us the opportunity to progress in the understanding of two worlds and what one should or can bring to the other. After having raised the realistic elements of the story, we will explore the hypotheses which seem to us the less complete but nevertheless interesting concerning the nature of the two characters (psychoanalytic approach of the behaviours, mythocriticism, comparison with historical and literary figures, similarity between Brândus with the primordial child or the puer aeternus and l'Emile of Jean-Jacques Rousseau...) then propose an analysis to bring us to answer this question : Does Eliade try to show, through this novel, that there is no solution of continuity between the world of the tradition of the archaic man and the modern world, as in his academic work ? Moreover, reading the "Captain's Daugther" gives us a awfully basis for reflection in our time of the reign of increasingly weighing of standardization of individuals, and allows to envisage a possible archeomodern human existence transcending the ontological cleavage between archaism and modernity. 
  • vendredi 25 mars 2016

    Mircea Eliade - Noces au paradis (partie III)

    Voir auparavant sur ce blogue :
    http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2014/11/mircea-eliade-noces-au-paradis-quelques.html
    http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2014/11/mircea-eliade-noces-au-paradis-nunta-in.html

    On peut se demander si Ileana, héroïne du roman "Noces au paradis" n'est pas la Hélène-Ennoia prostituée, compagne de Simon le Magicien perçu comme le premier des hérétiques par les chrétiens, ou si tout du moins le personnage féminin du roman et le personnage historique n'ont pas des caractéristiques communes. Eliade n'assigne-t-il pas à Ileana-Lucifer-Vénus (voir partie II), un rôle identique - celui de rédemptrice - à cette Hélène "découverte dans un bordel à Tyr (...) considérée comme la dernière et la plus déchue incarnation de la "Pensée" de Dieu (Ennoia)". (Eliade, M. (1976). Histoire des croyances et des idées religieuses, volume II). Nous avons montré les similitudes entre Ileana et Lucifer en mettant en exergue un passage significatif du récit d'Eliade concernant la perte de l'éméraude (chute des Cieux de Lucifer)...Eliade écrit ainsi dans son "Histoire des croyances et idées religieuses" : "(...) rachetée par Simon, Héléne-Ennoia était devenue le moyen de la rédemption universelle (...) L'union du 'magicien' et de la prostituée assure le salut universel, parce que cette union est, en réalité, la réunion de Dieu et de la Sagesse divine". Enfin, nous savons que Pierre était l'ennemi de Simon. Cet affrontement entre l'apôtre et le magicien était connu dans les permiers siècles de l'ère chrétienne. Peut-être donc qu'Eliade a transposé cette opposition dans son roman "Noces au paradis" en attribuant à chacun des deux personnages masculins,  Hasnas et Mavrodin, le rôle d'un des deux personnages mythico-historiques pré-cités.

    vendredi 23 octobre 2015

    Constantin Léontiev par Nicolas Berdiaev et commentaires...


    "Nous assistons à la venue au monde d’une caricature qui défigure l’image des anciens hommes : l’Européen rationnel moyen, avec son grotesque vêtement, que le miroir de l’art ne saurait même pas idéaliser ; un être à l’esprit mesquin qui se sustente d’illusions, frotté de vertu terrestre et de bonnes intentions pratiques ! Depuis le début de l’histoire, on n’avait point vu d’alliage plus monstrueux : jactance intellectuelle devant Dieu, et platitude morale devant l’idole humanitariste, uniforme et incolore. Humanité exclusivement travailleuse, impie, et dénuée de passions. Peut-on aimer une humanité pareille ? Ne doit-on pas haïr, non pas les hommes eux-mêmes, lesquels sont stupides et ont perdu le sens, mais l’avenir qu’ils se préparent ? Ne devons-nous pas le haïr de toutes les forces de notre âme, et même de notre âme chrétienne ?" Extrait de Constantin Léontiev par Nicolas Berdiaev, Berg international, 1993.Recueilli dans La Russie retrouve son âmenuméro de juin 1967 de la revue La Table rondehttp://www.biblisem.net/citatio/leontcit.htm

    Léontiev fait partie de ces écrivains prophétiques. Comment ne pas adhérer à sa vision de la "modernité européenne" ? Comment ne pas penser avec lui que l'homme des modernités aux centres d'intérêt limités, à l'égo boursouflé, narcisse qui ne supporte pas la frustration et la critique, incapable de faire face son vide intérieur, n'est qu'un individu terne dont le prétendu individualisme n'est qu'un moutonisme, dont la singularité renvendiquée  (qui n'a jamais entendu ce fameux récurrent "je ne suis pas comme les autres" !) relève de la plus effroyable des banalités, et qu'absolument plus rien ne transcende. Comment le sentiment du sacré (voir simplement un peu d'"esprit") pourrait-il, de toutes façons, émerger d'une fosse à purin ? Or donc, le "pas comme les autres" n'est, dans la plupart des cas, qu'un pauvre type (pauvre femme) mal élevé(-e) qui pensant défier la norme en se comportant comme un porc (une truie), ne fait cependant qu'adhérer à celle-ci. 
    A propos de gorets... le livre de Gilles Châtelet "Vivre et penser comme des porcs" sorti à la fin des années 90 du XXe s., aussi amusant dans sa forme que tragiquement réaliste sur le fonds, témoigne de la présence réelle de l'homo porcus en ce monde...On peut vérifier cet état de fait quotidiennement. 
    Il s'ensuit que chez ce pousse-caddie la capacité d'émerveillement  devant la Création ne peut être que, de toute évidence, totalement absente. Pour paraphraser Clouscard qui, malgré le sentiment qui pourrait émaner  d'une lecture très superficielle de son oeuvre n'avait rien d'un anti-moderne ou d'un réactionnaire, le voyage au bout de la nuit, parsemé d'indigestes introspections, que revendique l'individu d'attitude moderne n'est, finalement, qu'une promenade pantouflarde dans le jardin des idées reçues...Ici, Clouscard rejoint Léontiev...
    L'homme religieux est le seul à pouvoir assumer la totalité du monde, de l'existence y compris cet événement  angoissant qu'est la Mort. Savants et pseudo-savants reculent à l'évocation de cette dernière. Ils n'ont absolument rien à dire à son sujet...et ne veulent rien en savoir... Au mieux, peut-on s'attendre de leur part   à la récitation des éternels poncifs relativitives... relatifs à l'autonomie du sujet, la liberté de conscience (un pas de côté...). 

    mardi 15 septembre 2015

    Léon Bloy - Le Pèlerin de l'Absolu (émission de télévision de 1970)

    Le sang du pauvre
    "Le Verbe de Dieu est venu dans une étable, en haine du Monde, les enfants le savent, et tous les sophismes des démons ne changeront rien à ce mystère que la joie du riche a pour substance la douleur du pauvre. Quand on ne comprend pas cela, on est un sot pour le temps et pour l’éternité. — Un sot pour l’éternité ! "
    Le désespéré
    Léon Bloy à la BNF


    jeudi 4 juin 2015

    Entretien avec Lucien Rebatet - "Les décombres"

    "Jules Renard, dont j'aime à croire qu'il n'eût jamais été un socialiste à la mode du Front Populaire, disait trente ans plus tôt aux Buttes-Chaumont : “Oui, le peuple. Mais il ne faudrait pas voir sa gueule”. Les dieux savent si on la voyait ! Ça défilait à tout bout de champ, pendant des dimanches entiers, sur le tracé rituel de la République à la Nation. Il y avait les gueules de la haine crapuleuse et crasseuse, surtout chez les garces en cheveux. Il y avait encore à profusion le prolétaire bien nourri, rouge, frais et dodu, dans une chemisette de soie, un pantalon de flanelle, d’étincelants souliers jaunes, qui célébrait avec une vanité rigolarde l'ère des vacances à la plage, de la bagnole neuve, de la salle à manger en noyer Lévitan, de la langouste, du gigot et du triple apéritif. Le peuple, dans ces revues, était entrelardé de cohortes maçonniques, arborant d'incroyables barbes toulousaines, et des bannières, des ceintures, des scapulaires bleus et roses de congréganistes, sur des ventres de Tartarins ; ou encore d'escouades d'intellectuels, les penseurs de mai 36, dont l'aspect me mettait un voile rouge devant les yeux, les vieux pions de Sorbonne, les suppôts à lorgnons et barbiches de toute la suffisance primaire, bras dessus bras dessous avec tel homme qui avait eu du talent et qu'on reconnaissait avec un étrange dégoût dans ces chienlits" (Rebatet L. (1942, édit. 1952),  Les décombres).

    Rebatet, en voilà un qui n'a jamais fait semblant de l'aimer...le peuple...

    En ce qui concerne l'entretien, quelle qualité dans l'échange ! Et le niveau de langue ! On entend, en outre, un Jacques Chancel qui ne partage évidemment pas les orientations politiques de Lucien Rebatet, toujours respectueux de son hôte. Impensable qu'un tel débat puisse avoir lieu aujourd'hui, Il n'y a qu'à écouter ces animateurs-publicistes analphabètes, parfaitement incultes, porteurs d'une effarante vulgarité...et leurs invités...


    .   

    samedi 21 mars 2015

    Prâslea cel voinic și merele de aur - Petre Ispirescu (Prâslea le vaillant (le puissant, le robuste) et les pommes d'or)


    TEXTE Petre-Ispirescu-Praslea-cel-voinic-si-merele-de-aur : VERSION ROUMAIN-FRANCAIS

    Sorin Alexandrescu pense reconnaître le personnage de Prâslea le Vaillant sous les traits de Brândus le jeune garçon de la nouvelle "La fille du capitaine de Mircea Eliade". Sorin Alexandrescu (1969). "Dialectica fantasticului”,  étude introductive publiée dans dans la préface du recueil de Mircea Eliade - La țigănci și alte povestiri, Editura pentru literatură : București.
    VOIR ICI : http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2015/02/a-lombre-dune-fleur-de-lys-mircea.html A l'ombre d'une fleur de lys - Mircea Eliade - Interprétations inédites - "la Fille du capitaine" : l'enfant primordial, renovatio intégrale (étape I - partie première)
    et ICI :  http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2014/11/tinerete-fara-batranete-1969-la-cle-dor.html Tinereţe fără bătrâneţe (1969) - La clé d'or - Inspiré du CONTE ROUMAIN de Petre Ispirescu - Tinerețe fără de bătrânețe și viață fără de moarte



    jeudi 12 mars 2015

    De la France - Emil Cioran

    La France telle que fantasmée par Cioran n'était déjà plus qu'un souvenir en 1941...Grandeur perdue !...
    Livre bourré de "psychologismes" et de lieux communs historiques tout droit sortis de manuels scolaires de la IIIe République, écrit par un de ces étrangers qui n'a connu de la France que Paris (ou Vichy)...On sourit certes, tout de même, par instant à la lecture de cette oeuvre de jeunesse Cette phrase est, par exemple, un petit chef-d'oeuvre d'amusante imbécilité : "Chateaubriand – ce Français, britannique comme tout Breton" (sic)...
    Cioran est un écrivain majeur du XXe siècle mais dont le génie littéraire (et un peu philosophique) est, de toute évidence, ailleurs que dans ces quelques pages "de la France"...

    jeudi 22 janvier 2015

    L'OEUVRE DE MIRCEA ELIADE : ENTRE NOSTALGIE DES ORIGINES ET VOIE POUR L'INSURRECTION DE L'ÊTRE CONTRE L'HYPERMODERNITÉ (publication scientifique dans une revue à comité de lecture)




    Translated Title: MIRCEA ELIADE'S WORKS: BETWEEN THE NOSTALGIA OF THE ORIGINS AND THE WAY FOR THE UPRISING OF THE BEING AGAINST HYPERMODERNITY
    Publication: Annals of "1 Decembrie 1918" University of Alba Iulia - Philology (15/2/2014)
    Author Name: LEMONNIER, JEAN-MICHEL;
    Language: French
    Subject: Culture and Society
    Issue: 15/2/2014
    Page Range: 18-37
    No. of Pages: 20
    Summary:  

    He will not be here to make yet another comment about a work which is already widely discussed, showing the contributions of thereligious historian regarding the understanding of religious phenomena or theexperience of the sacred, but rather to try to extract work from the materialneeded to build a liberating way for the individual with a hypermodernistattitude. Even more than an alternative path of salvation in the religious sense,it is a revolution of the human being, who has been shrugged off of all hisillusions about politics, world trading, egotistic exchange that takes shapewithin what we call the "eliadean system". We know about the similaritiesbetween Mircea Eliade's and Corneliu Zelea Codreanu's new man, but we musttranscend this identification corresponding to a particular historical contextand review the work of the religious historian to overcome any collusion withany particular political ideology. In a similar manner, we try to show that alarge part of his work - if not all - goes beyond the development of a "newhumanism" and traces a possible path for the insurrection of man by a return to his own center. Therefore, Mircea Eliade would not be the voice of arevolutionary vanguard guiding the man, but the inspiration of a completerevolution of the man who is beyond the world of the technician and of themercantile illusion, which takes place in its "cosmic utterness". Thus, Eliade'swork would carry the answers that can lead us to the end of the night of theillusions of materialistic societies and would predict an insurrection of the realbeing, of the quality who dares to face the reign of quantity and fragmentation,in order to permanently abolish it by a metanoia. So, the work of the Romanianscientist certainly announces - to be sure indirectly - the end of all ideologiesand brings all the stones for the construction of a "non-ideology" or "nonphilosophy"that exceeds all religious and political categories, the base of anew society: a community of the real being. In other words, when talking about his work, Eliade tells us how this nostalgia of origins can be sublimated and become a source of renewal and absolute, leading us to think about the modern world and all its paroxystic extensions as being a historical parenthesis, hopeless, destined to be abolished, in order to make way for the man exempted
    of his alienation, free from all possible burdens: the membership to a social class, varied delusional beliefs, narcissism and self-hate, death anxiety, adoration of immediacy...

    Keywords:
     cosmic totality; Mircea Eliade; revolt against, hypermodernity; alienation


    mardi 30 décembre 2014

    Metallica - Creeping Death et exil ontologique (Mircea Eliade - A l'ombre d'une fleur de lys)


    Le texte de la chanson est clairement inspiré du Livre de l'Exode (ou du film "les dix commandements" selon le groupe), on trouve facilement des développements concernant la...genèse de ce titre et, de fait, le pourquoi du titre "Creeping death".
    Mais cette chanson ne parle, peut-être, pas d'autre chose que de l'exil de l'être, de l'exil ontologique, la nécessité du retour vers soi, vers son propre être, d'une recosmisation et par conséquent d'une nostalgie des origines préalable à toute quête de soi ou vers soi, donc de son Salut. C'est donc, si l'on se situe à un autre niveau d'analyse, ce que l'on peut comprendre de cette chanson traitant donc bien plus de l'errance, de la condition d'être étranger à soi de l'homme moderne finalement, que de vengeance, de punition divine ou comme étant la simple adaptation d'un fameux épisode biblique. Le "Die!" lapidaire crié durant le morceau ne serait que l'impératif de mort à la vie profane pour naître à la vie nouvelle, naître de nouveau.




    C'est en relisant "A l'ombre d'une fleur de lys" de Mircea Eliade (cela aurait-il pu être tout autre roman, ou somme de nouvelles du même auteur, voire un de ses nombreux essais ?...) et je dois dire, par l'intermédiaire d'un rêve récent qui a suivi cette lecture, qu'une nouvelle compréhension du texte d'un des plus fameux titres de Metallica m'est apparue. 
    Deux passages m'apparaissent significatifs -ce sont d'ailleurs les plus clairs- tirés de cet ensemble de nouvelles qu'est "A l'ombre d'une fleur de lys", à propos de cet exil de l'être : "le monde entier vit en exil, mais seuls quelques uns le savent..." p. 208, "Alors, mon collègue se demande si ces retrouvailles à l'ombre d'une fleur de lys au paradis ne concerneraient pas un retour béatifique, triomphal, après l'exil, comme celui des israëlites après la captivité babylonienne" (idem). 
    Bien sûr, dans cette cinquième nouvelle qui clôture "A l'ombre...", c'est la "captivité babylonienne" des Juifs sous Nabuchodonosor qui est évoquée, mais cela n'a aucune importance puisque nous sommes dans la métaphore. L'utilisation de tout autre récit d'exode mythistorique aurait convenu.

    L'analyse de "A l'ombre d'une fleur de lys", elle, viendra plus tard. Encore une fois, comme de coutume chez Eliade il y est question d'exil de l'être, nous l'avons déjà écrit, de Salut, de réminiscence, de métanoïa, d'un paradis perdu à retrouver...et (ou car) forcément dans la pure tradition éliadéenne, le texte est saturé de symboles...En outre, à lire les maigres recensions de ce livre trouvées ici et là, peu de lecteurs ont décrypté cette oeuvre, il est vrai assez absconse. Mais lire les romans d'Eliade n'est pas une simple distraction (ce que semble attendre le lecteur hypermoderne de tout livre) c'est, en réalité, prendre le chemin vers Ithaque...



    lundi 22 décembre 2014

    La lumière qui s'éteint - Mircea Eliade, partie II : metanoïa, nouveau solstice

    La lumière qui s'éteint, p. 264 - Manuel, dieu païen
    Extrait : la métanoïa de Manuel, l'un des héros du roman, participant au rituel orgiaque dans la bibilothèque -lieu initiatique- qui prendra feu (comme celle d'Eliade bien des années plus tard...événement traumatisant pour cet érudit, savant majeur du XXe s.)  Voir ici : http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2014/06/la-lumiere-qui-seteint-mircea-eliade.html

    Ce paganisme est très nietzschéen dans ses valeurs. L'homme qui devient dieu est en réalité le surhomme, le créateur de valeurs. Le chaos destructeur réalisé grâce au rite  orgiaque (au début du roman) aboutit à la création de nouvelles valeurs portées par Manuel, l'Emmanuel, c'est-à-dire "Dieu est avec nous (avec lui)". Le rituel orgiastique fut bien un évenement comparable au  "25 décembre", à un solstice (le soleil qui "s'arrête" et adopte un nouveau mouvement), à une victoire de la Lumière sur la Ténèbre (Dies natalis solis invicti). C'est à la fois une cratophanie et une théophanie (hiérophanie suprême). On a vu qu'Eliade pouvait très bien faire référence aux comportements des phibionites. Avec ce passage, l'auteur nomme  l'hindouisme. Le savant roumain évoque, de toute évidence, la consubstantialité dieu-esprit (ou âme)-lumière-semen virile dont on retrouve la trace dans les constructions religieuses indo-aryennes. N'oublions pas qu'Eliade, loin de défendre une tradition et d'en montrer la supériorité par rapport à telle ou telle autre, a montré à travers ses recherches, à l'instar de Guénon, l'unité des différentes traditions religieuses présentes et passées. 
    Or donc, le paganisme de Manuel est tout autant hindouiste que nietzchéen. Manuel est Shiva, destructeur et créateur. La destruction se fait sur le plan physique -la bibilothèque détruite par le feu régénérateur- et sur celui des valeurs. Manuel, le jounaliste (quelle profession plus médiocrement moderne ?) découvre que tout était faux jusque là. Désormais, il a enterré Dieu, le dieu chrétien ou plutôt le dieu des chrétiens (aussi lâche et médiocre qu'eux, à leur petite hauteur...),  il ne tremble plus devant l'univers, devant l'immensité du cosmos, il n'a plus ni terreur ni effroi. L'homme fait l'expérience de la solitude cosmique...Il devient lui-même un dieu...païen. Manuel devient Shiva Nataraja, le danseur cosmique. La voie de la délivrance vient par la danse dans le monde religieux hindouiste.  Manuel-Shiva détruit les anciennes valeurs et en crée de nouvelles à l'infini, c'est l'éternel retour des cycles de destructions et de créations (différent du sens nietzchéen). 
    La danse cosmique de Shiva
    Source non identifiée
    A partir de ce passage, on peut peut-être considérer, par déduction, que les  trois acteurs du rituel dans la bibilothèque à savoir Melania, le professeur et Manuel incarnent symboliquement trois divinités (avant d'acquérir leurs qualités, au moins dans le cas de Manuel le double "sombre" dans le sens de "caché" et "non controlé"du bibliothécaire Cesare héros principal du roman. Cesare est-il simplement schizophrène du fait de sa difficulté à interpréter le réel ou plus encore atteint du trouble de la personnalité multiple, ce qui ne serait pas contradictoire avec son "état", la maladie comme signe divin, phénomène transitoire vers la délivrance, sa recosmisation ?...) : Shakti, Kali ou plus sûrement Parvati, le principe féminin suprême, la Lumière, est Mélania et les deux divinités complémentaires Shiva et Vishnu (Hari Hara) sont Manuel et l'universitaire? En effet, Parvati procrée en même temps qu'elle détruit les illusions et l'ignorance, Shiva détruit lui aussi pour créer ensuite un nouveau "cosmos". A travers ces interprétations et "incarnations", on lit la prostitution sacrée telle que pratiquée, par exemple, autrefois dans certains temples hindouistes ? L'acte sexuel qui imite l'acte divin de hiérogamie (imitation de la syzygie), est donc un rite initiatique, ici effectué dans la bibilothèque-temple brûlée par le feu de Shiva (attribut phallique porteur du feu infini) donne naissance à "l'homme nouveau", ou plutôt au surhomme affranchi des contraintes de ce monde, un dieu finalement, si on doit le comparer aux autres hommes de condition spirtuellle misérable.

    Dernières remarques. Ce dieu païen "au-delà de toutes catégories", s'oppose en tout au "dernier homme", au médiocre petit homme gris de notre ère, bien dans son époque, éternel satisfait de sa  condition, de ses centres d'intérêts qui ne dépassent guère son horizon immédiat, abruti par son travail, ses loisirs, son absence de convictions profondes etc.  Notre époque hypermoderne semble être réellement celle du dernier des hommes, de ce nouveau type anthropologique, de cet être faible moralement (homme ou femme), construit sur un mode hystérique, arrogant, sarcastique et stupide, ce narcisse dégénéré, imbu de lui-même  (sans pouvoir s'avouer consciemment qu'il se déteste pronfondément), pousseur de caddie dans les galeries marchandes -non-lieux- du supermarché mondial.."Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos. Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même.Voici ! Je vous montre le dernier homme." Nietzsche, "Ainsi parlait..."

    Prophétie réalisée...







    Pour une lecture nietzschéenne des évangiles, le bon livre d'Eric Edelmann :




    jeudi 11 décembre 2014

    Maitreyi (La nuit Bengali) - Mircea Eliade (1933) - Choc culturel et sacré féminin (Partie I)

    Interpréter la fascination d'Allan -le narrateur personnage- pour Maitreyi comme celle du colonisateur envers la colonisée comme il a pu être écrit et comme le feraient, sans aucun doute, nos spécialistes actuels en "postcolonial studies" (anglais obligatoire), s'il leur prenait l'envie, un jour, de lire un auteur ausi "réactionnaire" que Mircea Eliade  n'a aucun sens. 
    Allan, le personnage narrateur, soit Eliade "cosmétisé" en ingénieur pour les besoins du récit (1), n'appartient pas à l'anglosphère (le monde britannique, précisément en l'occurrence l'empire britannique), ni à aucun des pays européens ayant une histoire coloniale. Allan-Mircea est Roumain. Et, si en effet, Allan à son arrivée en Inde semble posséder toutes les "qualités" du petit blanc arrogant et méprisant envers les autochtones, il ne s'agit, d'une part, que de la réaction, "normale" à l'époque d'un Européen, face à un monde méconnu ("j'étais venu plein de superstitions" p. 13) et d'autre part, l'évolution psychologique du personnage d'Allan (son regard sur cet Orient mystérieux) est fulgurante. A force de contacts avec  les indigènes, Allan en arrive à maudire le monde des Blancs quand ses collègues britanniques (voir le personnage d'Harold Carr par exemple qu'Allan hait profondément) persistent à considérer ces Indiens, même "bien nés socialement", comme des "sales nègres", des "gens sales" à qui il est impossible de faire confiance.


    L'histoire,  semi-autobiographique- est simple : c'est le récit d'une union impossible entre Allan l'ingénieur européen (MIrcea le Roumain) et une jeune adolescente indienne, fille de Narendra Sen, protecteur et patron du jeune homme. L'ingénieur qui arrive en Inde avec une haute opinion de lui-même et considère sa présence en ce pays comme participant d'une  mission civilisatrice d'un peuple arriéré, trouve cette adolescente d'abord laide, mais pourtant dès sa première rencontre avec la jeune indienne, il est déjà décontenancé en présence de cet être féminin chez qui il perçoit une dimension surnaturelle. Ainsi, à propos du bras et de la couleur de sa  peau le narrateur homodiégétique écrit :"(...) on eut dit la chair d'une divinité ou d'une image peinte" (p. 12). La plupart des descriptions de Maitreyi révèle cette fascination d'Allan pour un être hors du commun, divinisé ou sanctifié : "J'eus le sentiment  tout d'un coup de me retrouver en face d'une sainte" (p. 85) ou encore plus loin "je sentais à mon côté la présence d'une âme impénétrable et incompréhensible, aussi chimérique et impénétrable que l'âme de l'autre Miatreyi, la solitaire des Unpanishad." (p. 162) Voir : Maitri - Upanishad


    Mais Allan, tout au long de sa relation avec cette fille, basée tout d'abord sur des échanges intellectuels (on retrouve toujours l'espace favori d'Eliade : la bibliothèque, lieu d'érudition et territoire initiatique) et amicaux qui se transformera progressivement en amour fou, aura du mal à complétement intégrer toutes les codes culturels de cette société à laquelle appartient Maitreyi. On voit, en effet, un Allan plein d'incompréhensions face à cette jeune vierge toute imprégnée d'une culture traditionnelle avec ses rites étranges et conventions qui apparaissent rigides, voire absurdes pour un jeune Européen épris d'aventure, de liberté, d'amour libre sans contraintes : "Que de puissances devaient être consultées priées d'intervenir si nous voulions assurer notre bonheur" (p. 170). De ce choc culturel né de sa rencontre avec cet Orient indien encore "archaïque" (rien de péjoratif ici), Allan l'ambitieux occidental moderne n'arrivera jamais réellement à s'en remettre. S'il est prêt à se convertir à l'hindouisme, il continue à ressentir sa rencontre avec cet univers comme conflictuel. Il est face à une aporie.
    Allan  est à la fois jaloux et sidéré quand Maitreyi lui raconte qu'un de ses premiers amours fut un arbre, dans lequel elle montait parfois nue...Chabou, la petite sœur de Maitreyi confirme par son récit de la relation avec les arbres le panthéisme (ou le monisme) de ces Indiennes. "Panthéisme ! panthéisme!", écrit Allan dans son journal après avoir écouté le récit des jeunes filles qui fait figure de véritable révélation pour le jeune homme. Une telle attitude de la part d'êtres humains à l'égard d'êtres inanimés (des végétaux) est difficile à intégrer dans l'architecture psycho-mentale d'un Occidental. Le narrateur personnage ne cesse d'évaluer ce qu'il voit et entend émanant de ces jeunes femmes comme relevant du "primitif", de "l'enfance", comme étant paradoxal et incohérent. Mais, la perception de ce "monde archaïque" a, à n'en pas douter, plus à voir avec la fascination pour un "monde des origines" (re-)trouvé ici en Inde qu'avec le mépris du colon blanc pour les "mondes exotiques".
    Pareillement, les signes d'affection que peuvent se manifester deux amis par contact des pieds, apparaissent comme trop sensuels et impudiques pour un Européen et dépassant, de facto, la simple relation innocente. A plusieurs reprises dans le récit, on découvre un Allan, jaloux (Maitreyi s'est-elle donnée à son maître spirituel-gourou, rumine Allan avant que Maitreyi - qui il est vrai plaît à beaucoup de mâles- lui confie clairement que cet homme comme tous les autres qu'elle a rencontrés ne l'ont jamais touchés et ne l'ont jamais intéressés) et dans l'incapacité de comprendre ces mœurs indiennes que, néanmoins, il finira par adopter en partie. Effectivement, après avoir été éloigné de force de son amour, Allan isolé dans se retraite ne se rêve-t-il pas en "tronc d'arbre (flottant) doucement, tranquille, heureux sur les eux du Gange,..Ne plus rien sentir, ne plus me souvenir de rien...Ne serait-ce pas donner un sens à la vie que de retourner à l'état de simple minéral, que d'être changé en cristal de roche, par exemple ?  Être un cristal, vivre et répandre autour de soi de la lumière comme un cristal..." (p; 257). N'a-t-il pas alors, à ce moment, intégré en partie la philosophie de ces Indiens encore traditionnels, qui ne cessait de l'étonner autrefois ?

    Allan multiplie les réflexions au sujet de la femme occidentale moderne (nous sommes dans les années 20 et 30), objet de son mépris, sans aucune qualité, sans mystère, prévisible dans ses intentions, banale dans ses perversions les plus extrêmes comme eut écrit Julius Evola (ami du savant roumain) et a-spirituelle qui a -en moyenne- déjà à l'époque, tous les défauts des hommes, au contraire, donc, de la femme orientale dont la "prise de possession" progressive (à l'époque...) relève de l'initiation mystique...

    (1) A l'évidence, Eliade qui écrit avec "La nuit Bengali" (Maitreyi étant le titre original), une "page" romancée de son histoire personnelle (il part au Bengale durant 3 ans pour préparer une thèse de doctorat), s'est largement dissimulé derrière un personnage qui n'a pas sa connaissance du monde indien, dans le but de donner du "relief" au récit. L'auteur se sert de  l'ignorance crasse d'Allan au sujet du "monde indien" pour mieux dévoiler progressivement les mystères de l'Inde. Cela dit, il fallait que ce Allan ne soit pas totalement psychorigide et ouvert à de nouvelles expériences pour permettre à Eliade de décrire ce processus d'ouverture de la conscience (certes plus ou moins abouti) de son personnage principal.
    Eliade avait déjà approché ce monde là par la lecture et l'étude d'ouvrages théoriques sur l'Inde traditionnelle et n'a sûrement pas eu (toutes) les réactions d'étonnement que son personnage narrateur a dans ce roman face aux  attitudes et mœurs des membres de cette société indienne. 

    La nuit Bengali (Maitreyi) de Mircea Eliade, date de parution en France : 1950.
    Version utilsée : Editions Gallimard, Folio, 1979 
    Maitreyi Devi et Mircea Eliade
    à suivre...

    samedi 8 novembre 2014

    Mircea Eliade - Noces au paradis - Nunta în cer - Interprétations inédites, partie II


    Voir première partie :
    http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2014/11/mircea-eliade-noces-au-paradis-quelques.html

    La quatrième de couverture de cette édition en roumain reprend un propos du critique littéraire Octav Sulutiu. En substance, Sulutiu considère "Noces au paradis" comme l'équivalent du plus fameux (connu) des romans d'Eliade "La nuit bengali" ("Maitreyi"). Ileana l'héroïne de "Noces au paradis" est une Maitreyi autochtone, roumaine donc, une Maitreyi (indienne) dans le contexte de la Roumanie des années 30. "Noces..." et "La nuit bengali" sont le même grand hymne à l'amour, on y retrouve, je cite "la même pureté de sentiment et la même fine et étrange substance avec laquelle est modelée l'héroïne". Dans "Noces...", "l'exaltation lyrique se transforme, cependant, en exaltation (animation) épique". Les valeurs communes, comprendre universelles, mais aussi le réalisme sont dans  ce roman préférés à l'exotisme du roman "La nuit Bengali".


    Dans ce passage : la partie du texte soulignée en rouge fait référence à ce dont nous avons déjà parlé dans notre précédent article consacré à ce roman, à savoir : cette nécessité -plus encore que le besoin- de "naître à nouveau". On pense immédiatement au passage de l'évangile de Jean, où Jésus s'adressant à Nicodème affirme  “si un homme ne naît de nouveau, il ne peut pas voir le royaume de Dieu”. Le royaume de Dieu, soit le royaume d'Ileana...On peut dire les choses autrement : Il faut mourir à la vie profane, pour accéder à un nouveau plan cosmique, à un niveau supérieur de conscience équivalent à celui d'Ileana, voire être pure conscience ou conscience pure. Cette attitude n'est, cependant, pas propre au christianisme.
    Ensuite, l'enfant que regrette Hasnas le personnage amant d'Ileana qui serait finalement la rédemptrice que ces hommes n'ont pas su reconnaître ou pas assez tôt, en tout cas de manière confuse, car ils perçoivent tout de même cet être de la qualité qu'est cette femme particulière, c'est l'enfant originaire, des commencements, l'Adam ou ou le nouvel Adam : Jésus-Christ ? En vert, les regrets autant que la "nostalgie des origines", d'un temps mythique, sacré (la régression ab origine), le moment où tout a commencé et en bleu, le désir d'enfant, de paternité (de créer un nouveau cosmos), mais surtout, sinon exclusivement, "d'être enfant", le  désir de redevenir l'enfant primordial, l'Adam des origines. Le Fils incarne le rachat universel et individuel. Tout cela est lié : la terreur de l'histoire, le temps irreversible, la nostalgie des origines, le désir de naître à nouveau, de mourir à cette vie là, de changer de niveau cosmique. 
    Enfin, l'irruption d'Ileana dans la vie de Mavrodin et d'Hasnas est une bien une épiphanie, une manifestation divine, une théophanie...Chrétienne ? Est-elle Christ, c'est-à-dire oint par l'Esprit. Un certain nombre d'indices déjà mentionnés laisse supposer que oui...mais n'oublions pas ses similtudes avec Vénus-Lucifer. Nous disons qu'elle peut être rédemptrice manifestée à ces hommes (théophanie-hiérophanie suprême), le féminin sacré, le Graal, aussi bien que le plus majestueux et beau des anges. Eliade joue-t-il sur la confusion originelle porteur de lumière Lucifer-Jésus-Christ, en même temps que sur celle "étoile brillante du matin", nom donné autant à Jésus qu'à Marie-Vénus ? Ce qui revient à poser l'égalité Christ=Lucifer=Vénus=Marie=Ileana. Le savant roumain a assurément emporté au paradis de nombreuses clés d'interprétation de ses romans que nous devons désormais fabriquer nous-même. 



    samedi 1 novembre 2014

    Mircea Eliade - Noces au paradis - Quelques interprétations inédites sur les références symboliques dans ce roman

    Qui écrirait un tel roman aujourd'hui ? Qui relaterait ces histoires d'amour au risque de passer pour un ringard ?.. A peu près personne... Lire ce roman d'Eliade écrit dans les années 30, en cette modernité finissante c'est prendre acte d'une époque révolue. Ce roman et cette écriture sont, en effet, aussi éloignés des miévreries sentimentalistes postmodernes que du récit psy-culogique et du mode d'expression des charretiers de la néo litté-rature porno-révolutionnaire "despentienne" de cette fin d'âge sombre.
    Ce roman est d'ailleurs loin d'être aussi banal comme certains l'affirment après lecture. Eliade nous donne plus qu'un roman d'amour, un roman...à mystères qui tourne autour de cette étrange femme roumaine des années 1930. Si on a lu Maitreyi -et que l'on connaît la biographie du savant roumain- on comprend encore plus aisément ce roman et l'obsession d'Eliade pour le thème de l'amour impossible.
    On trouvera un résumé de l'histoire (inutile d'y revenir très longuement) sur la 4e de couverture du roman, notamment dans cette édition : "Noces au paradis," paru chez Gallimard dans la collection Imaginaire que je scanne ici avec le 1ère de couv' : 

    Quelques clés d'interprétations personnelles, jetées là, qui pourront, par ailleurs, paraître contradictoires, en apparence...
    Le grand amour d'Ileana sur lequel elle est très discrète durant sa relation avec Mavrodin est assurément Hasnas le compagnon d'une nuit de Mavrodin dans ce chalet des Carpates. 
    Qu'est-ce qui pousse Hasnas et Mavrodin à détruire leur relation avec cette femme qui semble si parfaite ? Les deux hommes qui ont vécu une histoire d'amour avec la même femme, racontent chaun leur tour leur relation avec cet être tellement unique qu'ils sont dans l'incapacité (peut-on comprendre) d'en assumer la totalité...Chacun de ces deux hommes rencontre Ileana à des moments différents de la vie de cette femme dont ils peinent à saisir la personnalité dans son intégralité. D'où leur désarroi et leurs immenses regrets qui inondent leurs longs récits présentés dans ce roman. Hasnas, une première fois, au moment où elle est encore une jeune fille, puis ensuite 7 ou 8 années plus tard. A la suite d'Hasnas, Mavrodin vit une histoire singulière avec cette femme avec la même passion que le premier mari-amant. Les deux hommes en font quasiment la même description, avec le même lyrisme, sur le même mode laudatique, sur le même plan, au-delà du rationnel. Ajoutons que Mavrodin, écrivain, artiste créateur, s'unit à Ileana quand celle-ci souhaite un enfant, fruit de leur amour qui lui permettrait de s'accomplir avant qu'elle ne comprenne ou ne se résigne à s'effacer pour laisser Mavrodin poursuivre la seule oeuvre créatrice qu'il est en mesure d'assumer :  l'écriture de ses livres. Hasnas des années plus tôt s'était, quant à lui, heurté au refus de la femme d'assumer une maternité. 

    Or donc, Ileana appartient à un entre-deux-mondes historique celui de la société roumaine finissante des années 30, déjà occidentale et encore traditionnelle.mais aussi à deux univers de qualités différentes : matériel (avec en son sein, le jeu dialectique sacré/profane) et spirituel (un au-delà non humain). Sur le prénom de la femme : Ileana. Prénom d'origine grecque, sa signification est "éclat de soleil".  Référence certaine à la mythologie grecque, Zeus place Ileana (ou Héléne), d'une beauté hors-norme, c'est comme cela qu'elle est décrite par ses deux amours dans le roman d'Eliade, au plus haut dans le Ciel et côtoie les dieux. 

    Une interprétation qui semble avoir échappée à tous les (peu nombreux) commentateurs connus de l'oeuvre concerne celle à propos de la pierre d'Emeraude perdue par Ileana-Leana. Eliade en fin symboliste ne peut décemment rien laisser au hasard et choisir de mentionner la pierre d'Emeraude sans attendre du lecteur qu'il ne rebondisse sur une occasion de lever le voile sur une partie du mystère des deux (mêmes) histoires d'amour de ce roman. La jeune femme perd donc son émeraude fixée sur la bague offerte par Hasnas (p. 229), "une perte vraiment irréparable" pour Leana (p. 230). Un jour, Hasnas en rentrant dans son foyer découvre Ileana...le front appuyé contre "la fénêtre de l'appartement" (p. 229) où le couple vit. Le front, l'émeraude...comment ne pas penser au récit biblico-mythique narrant la déchéance de Lucifer ? L'émeraude est cette pierre rare, tombée du front de Lucifer lors de sa chute des Cieux. Et justement le titre du roman est "Noces au paradis". Symboliquement, perdre l'émeraude revient à être chassé du Paradis. On se souvient que Lucifer est originellement le "porteur de lumière", l'étoile du matin, la planète Vénus chez les Romains...Vénus déesse de l'amour, le féminin sacré...Ileana-Lucifer-Vénus, éclat de soleil-porteuse de lumière...et de l'amour...Le porteur de Lumière désignant originairement Jésus-Christ, "Christus verus Lucifer", "Christ,le vrai Lucifer", "Christ véritable porteur de lumière".

    L'émeraude est un talisman très puissant également associée au signe du cancer comme le prénom Ileana (l'association Ileana-Emeraude-Lucifer), mais aussi aux eaux originelles et pures, protectrices du foetus dans l'uterus. C'est Ileana autant que l'amour de ces deux êtres qui n'ont plus (pas) leur place dans ce monde originel, protégé, idéal. La chute, de l'aveu d'Hasnas est provoquée par sa (propre?) volonté, par sa méchanceté, par sa peur irrationnelle de cette relation unique, parfaite : "Combien de fois ne l'avais-je pas humiliée, attristée, peinée profondément, avec un archarnement sauvage et aveugle que j'étais incapable de contrôler" (p. 240). Elle est provoquée par l'orgueil du mâle et non par celle de cette femme sans défauts, sans doute.

    Le personnage d'Hasnas aspire à la vie nouvelle : "...Je ne sais comment expliquer ce désir. De tout ce que vous m'avez dit, j'ai compris que vous n'avez jamais connu ce besoin obscur de naître de nouveau, ce besoin d'une compensation dans quelqu'un d'autre que la compagne de notre vie, de notre amour" (p. 239), "ce qui me pesait le plus cet après-midi là, c'était le sentiment d'irréparable" (ibidem). Là encore, le thème est connu : la régénérescence, la purification, la nostalgie des origines. 
    On pense également au chaos destructeur et créateur, mais cette entreprise de destruction, d'annihilation du monde ancien (sa vie passée) menée par Hasnas ne mène à rien. Pas de passage du chaos au cosmos, mais un comportement nihiliste. La (trop?) jeune femme ne veut pas de l'enfant (primordial), de l'Emmanuel, Hasnas mué par une force qui le dépasse (une force maléfique du monde suprahumain, l'éternel combat entre ténèbres et lumières ?) s'acharne sur Leana et, par son comportement, finit par casser le lien qui l'unit à celle-ci...car il est incapable à mourir à la vie profane ?...

    "Nous ne sommes pas un couple de ce monde, nous deux, dis-je pour la consoler. Notre destin ne s'accomplit pas sur cette terre. Nous nous sommes connus dans l'amour; l'amour est notre paradis. L'amour sans fruit : nous sommes comme Tristan et Yseult, Dante et Béatrice (...)" (p. 93), "(...) j'ai peur que notre amour ne s'altère, s'il enfantait ici, sur terre" (ibidem) poursuit Mavrodin. A la p.159, Hasnas confirme indirectement (?) la singularité de l'union avec Ileana-leana en faisant référence à ces événements uniques, cette "grande chose" qu'on ne vit qu'une seule fois dans sa vie. On pense à une démonstration de force, une manifestation suprahumaine, une cratophanie, sinon une hiérophanie : une manifestation du sacré dans un objet, un être (l'hiérophanie suprême étant l'Incarnation du dieu dans la chair). Rappelons  que selon un récit mythique (et étymologique...) Ileana est aux côtés des dieux...au paradis. 

    A la fin du roman, les deux hommes ont la certitude au moment où ils se parlent qu'Ileana-Leana est morte. Sans doute que cette "certitude" rassurent les deux hommes. L'amour avec Ileana, bien que charnel, n'était véritablement possible que s'il était assumé également sur un plan cosmique...un plan ou un niveau qu'ils pressentent seulement. Impossible de se mettre aux niveaux (inséparablement terrestre et cosmique) de cette femme, pour ces deux êtres finalement sinon trop frustres pour elle, dans tous les cas impotents, incrédules à la manière de ces disciples de Jésus-Christ malgré les preuves affirmant une autre réalité


    Les deux protagonistes mâles sont des hémiplégiques, ils ne peuvent assumer cette histoire d'amour lumineuse, et plus encore numineuse (voir Rudolf Otto). En effet, Ileana-Leana est autant un mystère fascinans que source d'effroi, de terreur pour ces hommes. Ces derniers sont en quelque sort des deicides...Ils savent que cet amour est bien autant au-dessus de toutes les petites amourettes qu'ils ont vécues, que de toutes les relations amoureuses existantes sur terre, mais ils ne peuvent supporter un tel poids, une telle manifestation de puissance...A la page 157, Mavrodin confesse son impuissance à décrire Ileana et l'amour qu'il lui a porté autrefois "démoralisé par mon impuissance à rendre la vérité, l'impuissance que tout artiste éprouve de se confesser, comme un homme, totalement, comme un chrétien". On se rappelle de la formule d'Eliade faisant du christianisme, la religion de l'homme déchu, de l'homme moderne finalement...Ileana est une mystagogue et assume à la fois la réalité du monde profane et celle du monde sacré, du matériel et du spirituel. Elle descend sur terre et accepte de s'autolimiter en espérant faire venir à elles ces hommes et les faire accéder à un nouvel état de conscience. C'est un échec...Comme le christianisme (l'Eglise) ? Sa seule véritable existence relève du monde suprahumain, au paradis..auquel elle n'a plus accès (?), d'où son désespoir. Ileana semble bien être un ange déchu(e) (cf. l'emeraude)...autant que Vénus, la déesse de l'amour qui s'incarne dans la chair...


    Il y a encore d'autres points à développer, à préciser,  concernant la "polarité", j'y reviendrai peut-être...



    AJOUT :
    Suite de l'analyse (8 novembre 2014): 
    http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2014/11/mircea-eliade-noces-au-paradis-nunta-in.html

    Ici mon interprétation de "La lumière qui s 'éteint" du même Mircea Eliade : 
    http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2014/06/la-lumiere-qui-seteint-mircea-eliade.html




    mardi 10 juin 2014

    La lumière qui s'éteint - Mircea Eliade

    La lumière qui s'éteint, Chap. Les mémoires de Manuel p. 260

    L'analyse du roman de Mircea Eliade "La lumière qui s'éteint" est beaucoup trop longue à faire. J'y reviendrai , sans doute plus tard.  Je ne trouve aucune trace d'analyse de ce roman. J'ignore s'il en existe. Tout ce qui suit n'est qu'interprétation strictement personnelle (voire simples questionnements) à propos de ce "livre à mystères".

    Les niveaux de lectures sont, comme la plupart du temps dans l'oeuvre romanesque d'Eliade, très très nombreux. Et, il faut impérativement avoir lu son oeuvre savante pour pouvoir apprécier sa prose littéraire. En effet, cette dernière est parfaitement imprégnée des thèmes explorés dans la production scientifique du savant roumain. Dans ses oeuvres de jeunesse des années 30, tout est déjà là. On est, en outre, très loin du style lourdaud et de la mécanique de l'intrigue grossière de la plupart des auteurs de romans fantastiques. Amateurs de Stephen King -que je lisais cela dit mais il y a une éternité de cela-  de J. K. Rowling ou de Stephenie Meyer, passez rapidement votre chemin...


    Une première remarque. Le rituel orgiaque pratiqué dans la bibliothèque (lieu récurrent - voir géographie du sacré- et, en général, RESERVE AUX INITIES autant qu'aux érudits dans les romans d'Eliade ; il y a deux figures indissociables et priviligiées l'INITIE et l'ERUDIT dans ses romans), même s'il est suggéré et jamais décrit -même si on peut, de toute évidence, penser en premier lieu au tantRisme- peut être inspiré par ceux pratiqués par la secte des Phibionites. Eliade évoque dans "Occultisme, sorcellerie et modes culturelles" (Gallimard, NRF) des pages 152 à 156, ces "rites bizarres et ignominieux" qui pourraient en apparence (on voudra bien se reporter à l'ouvrage) être confondus avec des rites hédonistes, pervers et "bordéliques" pratiqués par des satanistes. En réalité, les phibionites (chrétiens...) comme les personnages du roman qui pratiquent le rituel dont l'accomplissement est un événement comparable à la Révélation christique (ce n'est pas une interprétation, c'est dans le roman) cherchent la Rédemption. 

    On peut croire Eliade confus (1) ; les points de vue narratifs multiples, d'aucuns diront la cacophonie narrative, les soliloques, monologues intérieurs, de toute évidence inspirés par l'Ulysse de James Joyce (cf. le personnage de Stephen Dedalus), ajoutés aux abondantes références philosophiques, mystico-religieuses, symboliques ou réaliste (Balzac était l'écrivain préféré d'Eliade, mais son influence est sans doute plus sensible dans "Les hooligans") peuvent perdre le lecteur le plus motivé mais Eliade, comme toujours,  à part peut-être dans certaines oeuvres de jeunesse ("Le roman de l'adolescent myope" et encore...Eliade est un génie précoce) nous livre certaines clés (encore faut-il les saisir...) nous permettant de lever une partie du voile des "mystères de la totalité".


    Certaines "ficelles" sont suffisamment grosses pour un lecteur du XXIe s., encore que...: le héros au destin tragique, qui perd la vue (châtiment divin, technique des ascètes hindouistes qui se brûlent volontairement les yeux en fixant le soleil, clairvoyance, divination...on pense aussi à Homère) "meurt" et renaît à la vie nouvelle, en tuant son double ou son ancien "moi"...d'autres moins. Les références à l'Odyssée, à Homère et au symbolisme aquatique, maritime sont aussi assez évidentes. L'océan est omniprésent dans une bonne part du roman. Espace des errances d'Ulysse dans l'Odyssée, Eliade reprend ce thème à sa manière. Cesare le héros presque aveugle, persécuté et convoité par ses contemporains est-il à la fois Ulysse en chemin vers Ithaque qui retourne donc en "son centre" (centre de l'être), donc vers  lui-même et à la fois le cyclope Polyphème rendu aveugle par Ulysse. 


    Il faut signaler que l'érudit Eliade dont la carrière d'universitaire et de romancier est doublée-indissociable d'une recherche spirituelle. était myope. Cesare le héros qui vit parmi les livres  est, à tout parier (que faire d'autre?) un des doubles littéraires de l'intellectuel roumain, comme sans doute le personnage d'Andronic dans son roman "le serpent". 


    Roman-récit initiatique, donc, propre à décrire les modalités de la métanoïa du héros et à provoquer  cette dernière chez certains lecteurs. Mais pas chez tous les lecteurs et pas chez tous ses héros. Dans ce dernier cas, le professeur participant à l'orgie semble suivre  un "mauvais chemin", il devient mystique...C'est un Russe. Et je me rappelle cette phrase d'Eliade lue dans un recueil de ses articles à quel point il méprisait ou peut-être se méfiait du mysticisme russe. Eliade considérera la seconde guerre mondiale  comme une lutte entre le mysticisme eurasien et le christianisme européen...On observe ici qu'Eliade n'était pas toujours aussi subtile dans ses analyses géo-politiques qu'il pouvait l'être concernant d'autres sujets... Mais c'est évidemment son anti-communisme viscéral (son rejet de la mystique communiste qui n'a rien d'eurasiatique pourtant et si peu à voir avec le mysticisme chrétien) qui le fait écrire de telles choses. 


    Or donc, le mysticisme, ce n'est pas la voie destinée à Cesare...Par cela, Eliade nous dit ses "préférences" en matière d'"être véritable"....indique le véritable voie de la Rédemption, mais prévient, par le biais du personnage de l'universitaire qu'il y a aussi des "voies sans issues cosmiques" (ou moins séduisantes) pour certains, malgré le changement radical d'être et de penser...


    Manuel (l'Emmanuel ? mais aussi Manole, référence à
     "La légende de Maître..." ?) qui participe au rituel (maître de cérémonie) au début de l'intrigue avec le professseur et la jeune femme Mélania, est devenu un dieu, un dieu païen, du moins il le prétend. L'événement en question (cf. supra), c'est une théophanie, la naissance d'un dieu que Cesare exécutera ou "intégrera". Cesare offre-t-il Manuel pour apaiser Poséidon (ses persécuteurs, i.e. ceux auxquels il essaie d'échapper ? Quoi qu'il en soit le monde a changé depuis cette nuit où les trois personnages déjà cités ont pratiqué le rituel magique dans cette bibliothèque,  qui prendra feu (regénérateur!?) de manière mystérieuse. Ce Manuel comme nous l'avons déjà mentionné est le "frère" de Cesare mais pas dans un sens biologique...Le couple indifférencié Cesare-Manuel est-il le "binôme" Ulysse-cyclope polyphème de l'Odyssée ? Chacun des personnages du roman paraît présenter des "qualités" propres aux personnages mythiques de l'Odyssée d'Homère. Mais Manuel est-il aussi Poséidon, tout comme la foule à la poursuite du héros Césare qui fait l'objet d'un culte après avoir sauvé Mélania de l'incendie de la bibliothèque ? (cf. paragraphe 4 de cet article). Bien malin, en tout cas, celui qui est en mesure de décrypter une telle oeuvre dans sa totalité.

    Eliade est élitiste (a fortiori dans ses jeunes années), c'est une évidence, il est presque inutile de le mentionner. Volontiers méprisant, il multiplie, d'ailleurs, les piques à destination de ses contemporains par le biais de ses personnages
    (2). Au moment de la rédaction du roman (années 30), Eliade avait des lecteurs "modernes", aujourd'hui ils sont "hypermodernes", les crânes se sont épaissis...Les consciences post- ou hyper- modernes sont encore plus difficiles à toucher que les modernes...difficile de communiquer avec elles sur ce mode.



    à suivre...

    (1) mais la difficulté de compréhension pour le lecteur non averti est bien moindre que dans "Incognito à Buchenwald".

    (2) Voir l'extrait scanné. cf. SUPRA